Ce billet est une traduction de l’article Rethinking the world : conservation and sustainability without economic growth publié sur Conservation in a click, un blog traitant de la conservation de la nature édité par Valerio Donfrancesco, doctorant à l’Université de Cambridge qui s’intéresse aux « valeurs et aux conflits au sein du monde de la conservation sous l’angle de l’écologie politique, avec un intérêt particulier pour les grands carnivores ».
Les preuves scientifiques établissant un lien entre dégradation des milieux naturels et croissance économique s’accumulent, comme le démontre une nouvelle étude publiée en avril 2020 dans la revue Conservation Letters. Expansionnisme économique et développement du PIB nécessitent une croissance constante de la consommation de ressources et sont liés à l’instabilité climatique croissante, à la destruction de l’habitat et à l’éradication de la diversité biologique.
Pour 189 pays, une augmentation d’1 % du PIB était associée à une croissance des émissions de CO2 de 0,5 à 0,8 % entre 1961 et 2018. La consommation par habitant augmentant avec le PIB, plus un pays (et ses habitants) devient riche, moins le mode de vie est écologique. Par exemple, la tendance positive entre la consommation de viande par habitant et le PIB signifie qu’à mesure que les pays développent leur économie, la productivité agricole s’intensifie au prix de la destruction de l’environnement. L’élevage est l’une des principales causes du changement climatique et de la déforestation, tandis que la monoculture et les produits agrochimiques sont responsables d’une grande partie de la dégradation de l’habitat qui s’est produite au siècle dernier, et cela continue.
À mesure que les économies se développent et que les pays s’enrichissent, les voies de transport et l’urbanisation se développent également, menaçant la biodiversité par la fragmentation des habitats et différents types de pollution (par exemple, de l’eau, de l’air, du son, de la lumière). L’introduction d’espèces exotiques/envahissantes, qui est une cause importante d’extinction pour les plantes, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères, devrait également augmenter en raison de l’accroissement du commerce international et de l’expansion des voies de transport.
En théorie, l’utilisation des ressources pourrait devenir plus efficace au fil du temps et que les liens entre la croissance économique et la dégradation de l’environnement pourraient par conséquent se découpler, mais cela reste une théorie qui a peu de chances de se réaliser en pratique. En tout cas, c’est qu’affirment les auteurs de l’étude. Ils fondent cette hypothèse sur les prémisses ci-dessus, et donc sur le fait qu’à ce jour, les économies ayant un PIB plus élevé sont aussi celles qui consomment le plus de matières premières et d’énergie et qui ont la plus grande empreinte écologique.
En passant en revue les principaux documents de politique internationale pour le développement durable et la conservation de la biodiversité, tels que les objectifs de développement durable des Nations unies et la Convention sur la diversité biologique, les auteurs soulignent que la croissance économique est souvent mise en avant, que ce soit implicitement ou explicitement, comme un moyen principal de réduire la pauvreté, de promouvoir l’égalité et d’atteindre la prospérité, tandis que ses conséquences pour la conservation de la nature sont souvent négligées ou seulement vaguement mentionnées.
Compte tenu des nombreuses preuves indiquant que la croissance économique a un effet négatif sur la biodiversité, les auteurs affirment que les politiques actuelles font en fait obstacle à la conservation de la biodiversité. Ces politiques pourraient être améliorées en adoptant une perspective économique qui donne la priorité à la fois à la protection de l’environnement et au bien-être humain tout en laissant de côté l’idée de devoir augmenter le PIB à tout prix.
« Les politiques générales en matière de biodiversité et de durabilité préconisent généralement la croissance économique et ont des positions ambiguës concernant ses effets sur la biodiversité. Cela reflète l’hypothèse largement répandue selon laquelle la croissance est nécessaire pour assurer la prospérité, malgré les preuves croissantes que, dans certaines conditions, des niveaux élevés de bien-être social peuvent être atteints sans croissance ou au-delà de la croissance », expliquent les auteurs.
Développer l’économie qualitativement plutôt que quantitativement (c’est-à-dire financièrement) signifierait adopter des outils et des idées tels que les « taxes vertes » (par exemple, les taxes sur le carbone et l’essence), les réformes visant à faire évoluer la perception sociale pour passer de la satisfaction de la consommation matérielle à celle des relations humaines et de la construction de communautés, l’urbanisme « compact » et l’agriculture à petite échelle avec un faible impact environnemental.
Si les auteurs reconnaissent que ces stratégies sont pensées dans une perspective occidentale, ils soulignent que des alternatives similaires existent également pour les contextes socioculturels et politiques du Sud global : « [ces idées] trouvent leur origine dans le Nord global, où les stratégies d’économies alternatives se développent à partir d’une histoire intellectuelle et matérielle éloignée de celle du Sud global. Pourtant, des valeurs analogues – telles qu’un mode de vie centrée sur la subsistance, l’équilibre entre tous les êtres vivants et la réciprocité – favorisent une exploration commune des alliances ».
Les auteurs concluent en encourageant les politiques environnementales de la prochaine décennie à reprendre une telle vision qualitative de l’économie mondiale pour un monde plus égal et durable favorisant la diversité biologique [et culturelle, NdT]. L’année prochaine, des scientifiques, professionnels de la santé et des décideurs politiques du monde entier se réuniront pour discuter des plans stratégiques des politiques de conservation pour la prochaine décennie, une opportunité à ne pas manquer pour transformer ce qui n’est pour l’instant que des idées en quelque chose de plus concret.