Nous avons déjà parlé de la chasse aux trophées ou « trophy hunting » et de ses potentiels bénéfices en tant qu’outil de conservation dans de précédents articles.
La chasse aux trophées est une pratique si controversée que le débat est souvent impossible entre les défenseurs de la cause animale et les chasseurs. La discussion tourne rapidement aux insultes tant il y a d’incompréhension entre les deux milieux. Ces querelles desservent la préservation des espèces menacées et nous font perdre un temps précieux pour construire une stratégie durable pour sauver notre patrimoine naturel.
Nous avons écrit cet article avec l’objectif de démonter le discours des chasseurs de trophées se présentant comme des bienfaiteurs pour les écosystèmes. En revanche, la chasse aux trophées, aussi contestée soit elle, a eu des bénéfices incontestables pour préserver les habitats naturels particulièrement autour des parcs nationaux. Les études scientifiques le montrent.
Une décision hâtive pour interdire la chasse aux trophées sans compensation financière pour les zones de chasse serait un remède pire que le mal.
Le discours des chasseurs de trophées et du lobby de la chasse
La « grande chasse » ou « big game hunting » est mis en avant par le lobby de la chasse comme l’unique solution pour une gestion effective de la faune sauvage dans les aires protégées hors parcs nationaux en Afrique.
L’industrie de la chasse met en avant un certain nombre d’arguments :
• Régulation des populations d’animaux pour maintenir des écosystèmes en bonne santé
• Participation à la conservation des espèces menacées via les retombées financières
• Retombées économiques pour les pays
• Bénéfices multiples pour les communautés locales (viande, emplois, etc)
Pour sa dernière campagne de communication, la Fédération Nationale des Chasseurs de France ose le slogan : « Les chasseurs, premiers écologistes de France ». Plus c’est gros, plus ça passe…
Même si cet article se concentre avant tout sur la chasse aux trophées en Afrique, il est intéressant de constater que le même discours a été adopté par l’industrie de la chasse à peu près partout, des USA à l’Europe et jusqu’à l’Afrique.
« La chasse aux trophées permet de protéger les espèces menacées »
Différences entre trophées importés et exportés
L’étude réalisée en 2016 par l’ONG Sud-Africaine Conservation Action analyse les données de la CITES sur les importations et les exportations de parties d’animaux. Elle montre clairement des dysfonctionnements flagrants dans le système. Pour plusieurs espèces animales, les importations sont plus importantes que les exportations entre deux pays…
Il semblerait aussi que tout soit fait pour une opacité maximale comme en témoigne les mauvaises pratiques lors de la déclaration des trophées. Selon les directives de la CITES, toutes les parties d’un même animal (cornes, oreilles, queue, pattes, etc) doivent être déclarées comme un seul trophée si elles correspondent à un permis de chasse. Or, dans la pratique, cela n’est pas respecté.
Des quotas non respectés ou fixés sur une base scientifique inexistante
Pour une espèce comme le léopard dont le comptage des individus est presque impossible, il n’existe pas de données fiables sur les populations. Pourtant, des quotas de chasse sont fixés et ce sont près de 10 000 léopards qui ont été abattus par des chasseurs de trophées entre 2003 et 2013 en Afrique australe. Ces chiffres ne prennent pas en compte tous les léopards qui sont abattus par les éleveurs et les fermiers dans le cadre des « animaux à problème » et bien entendu d’autres qui n’apparaissent jamais dans les chiffres.
Des permis délivrés pour des espèces en danger critique d’extinction
Comment peut-on justifier l’autorisation de la chasse aux lions au Burkina Faso et au Bénin alors même que cette sous-population d’Afrique de l’Ouest est estimée à environ 400 individus et classée en danger critique d’extinction ?
Un article de Libération publiée en décembre 2018 fait état de la situation dans le complexe W-Arly-Pendjari à cheval sur 3 pays : Bénin, Burkina Faso et Niger. Cette zone héberge la plus grande population de lions en Afrique de l’Ouest avec 350 individus en 2014 selon une étude de l’ONG Panthera.
Au Niger, la chasse est interdite, ce qui n’est pas le cas dans les pays voisins. Il y a 12 concessions de chasse au Burkina Faso, chacune pouvant mettre à mort un ou deux mâles. Au Bénin, ce sont 5 lions qui peuvent être « prélevés » chaque année. Ce sont donc entre 17 et 29 lions sur une population totale de seulement 350 lions qui peuvent être mis à mort par les chasseurs de trophée étrangers en manque d’aventure. A ce rythme, les chasseurs de trophées à eux seuls seront responsables de la disparition du lion d’Afrique de l’Ouest. Et encore, ces chiffres sont peut-être sous-estimés car les quotas ne sont pas respectés et parfois des femelles sont abattues.
« Les chasseurs de trophées visent les individus vieux et isolés »
Les chasseurs se présentent comme des régulateurs des écosystèmes. Selon eux, parmi les animaux chassés, seuls les individus âgés et solitaires sont ciblés. Cela permettrait de réguler et d’assainir les populations d’animaux. Dans la pratique, ce n’est pas du tout le cas comme le montre une vidéo où l’on voit un chasseur tirer sur un troupeau d’éléphants ou encore l’abattage du lion Cecil au Zimbabwe.
Les « bonnes pratiques » des chasseurs de trophées en action :
Tirer sur un troupeau d’éléphants est d’une bêtise sans nom. Tous les individus de ce groupe seront traumatisés à vie par cette rencontre avec l’homme. Ces animaux seront aussi plus agressifs envers les agriculteurs et les éleveurs de bétail vivant à proximité.
Une étude menée par des scientifiques dans le parc de Hwange au Zimbabwe a étudié l’impact de la chasse aux trophées sur les lions. Celle-ci a montré que 72% des victimes étaient des jeunes mâles adultes ce qui provoque une hausse des infanticides lorsque de nouveaux mâles intègrent un groupe dont le leader a été tué.
De plus, selon les scientifiques et les écologistes, en ciblant les animaux les plus matures et les plus puissants, les chasseurs de trophées mettent encore davantage sous pression des espèces déjà fragilisées par la pression anthropique. Même sans les ravages du braconnage ou de la perte d’habitat, les pratiques des chasseurs de trophées affectent à elles seules le patrimoine génétique d’une population et menacent sa survie à long terme.
A la perte de patrimoine génétique s’ajoute la perte des connaissances accumulées par les plus anciens individus d’une population. Avec l’abattage systématique des doyens d’une population, c’est toute la mémoire des points d’eau, des lieux où trouver la nourriture, des dangers à éviter qui est perdue pour les plus jeunes individus.
En résumé, abattre de jeunes ou de vieux individus revient au même. Cela perturbe durablement les animaux et leur capacité à prospérer.
« Les zones de chasse possèdent plus d’animaux que les parcs nationaux »
D’après l’étude UICN/PACO 2009, les zones de chasse affichent des performances moindres en matière de conservation que les parcs nationaux pour plusieurs critères :
– La préservation de leurs limites
– La préservation de la végétation
– Les parcs nationaux ont un rôle plus important pour résister à la pression anthropique
Les parcs nationaux ont dans la majorité des cas une densité animale supérieure aux zones de chasse.
Là encore, ce résultat vient contredire le discours habituel de l’industrie de la chasse. Cependant, il existe comme toujours des contre-exemples qui sont utilisés par les chasseurs pour défendre leur point de vue.
« La chasse aux trophées est importante pour l’économie Africaine »
Toujours selon l’étude UICN/PACO, 2009, les retombées économiques de la grande chasse pour toute l’Afrique sont insignifiantes et représentent 1,8% du revenu total de l’industrie touristique sur le continent. Dans les 11 pays de grande chasse, le secteur emploie 15 000 travailleurs locaux alors que 250 millions de personnes vivent dans ces mêmes pays.
Dans le même temps, les zones de chasse représentent 14,9 % de la superficie de ces pays tout en contribuant à hauteur de seulement 0,06% au PIB des Etats. Rapportée à l’hectare, la grande chasse génère un chiffre d’affaires de seulement 1,1 USD/an (hors Afrique du Sud) alors qu’il faut au minimum générer 2 USD/hectare pour couvrir les coûts d’aménagement d’une aire protégée. Ajoutons également qu’une utilisation agricole de la terre multiplie par 300 à 600 fois ce revenu ce qui explique le grignotage des zones de chasse par les cultures.
Au Bénin et au Burkina Faso, les zones cynégétiques occupent 3,5 % du territoire, emploient seulement 400 personnels permanents et 400 temporaires pour une population totale d’environ 20 millions d’habitants en 2009, aujourd’hui ils sont 30 millions…
Selon l’étude, la faible performance économique peut à elle seule expliquer la dégradation progressive des zones de chasse. En effet, celles-ci peinent à être rentables. Certains parlent de fixer le coût d’un permis de chasse au lion à 1 million de dollars.
« La chasse aux trophées est bénéfique pour les communautés locales »
Un autre mythe qui a la vie dure. Toujours dans l’étude UICN/PACO 2009, on apprend que la part reversée aux communautés locales est en moyenne d’environ 0,1 USD/ha par an dans les 10 pays de grande chasse. Cette somme est largement insuffisante pour inciter les populations à préserver les zones de chasse, par conséquent elle ne limite en rien le braconnage et la conversion des terres pour l’agriculture.
Nous évoquions dans un précédent article les différents modèles de conservation pour les aires protégées. Les modèles de gestion impliquant les communautés locales avec les conservancies de Namibie (CNBRM) ou le modèle CAMPFIRE au Zimbabwe sont là aussi mis en avant par les chasseurs et l’UICN dans plusieurs articles comme étant des modèles à suivre. Sauf que la réalité est moins rose.
Parmi les exemples souvent cités, il y a celui de la Namibie où les conservancies sont les plus développées. Il y en a plus de 80 à l’heure actuelle. Ce sont des territoires dont la gestion a été léguée aux communautés locales par l’Etat. Même si ce modèle obtient des résultats encourageants en matière de conservation des animaux, force est de constater que les minorités en Namibie n’ont que peu bénéficié de la grande chasse. Et celles qui en bénéficient perçoivent bien souvent de maigres revenus. Dans un article du National Geographic, on apprend que chaque Bushman de plus de 18 ans habitant la réserve de Nyae Nyae en Namibie reçoit environ 60 euros par an de la chasse.
Les Bushmen (ou San) sont aujourd’hui une des communautés les plus marginalisée en Namibie. Ils ont été chassés de leurs terres par l’arrivée des colons et n’ont jamais vraiment récupéré leurs droits depuis. Ils sont encore 80% à être dépossédés de leurs terres et la plupart ne peuvent plus chasser de manière traditionnelle pour se nourrir comme leurs ancêtres. Leurs enfants fréquentent peu les écoles, leur revenu moyen et leur espérance de vie sont les plus faibles du pays. Le taux de personnes infectées par le VIH dans la communauté des San est parmi les plus élevés au monde…
Survival International, une ONG qui défend les droits des peuples premiers, a dénoncé à de multiples reprises l’accaparation des terres par des étrangers et l’expulsion des autochtones pour la constitution de zones de chasse ou de parcs nationaux au Botswana et en République du Congo notamment.
Il n’y a pas de politique durable de protection des espèces menacées sans une forte coopération avec les communautés locales. D’ailleurs, ce sont souvent les mieux placées pour protéger la forêt et les habitats naturels d’où ils tirent leurs ressources.
« Le colonialisme, c’est du passé »
Un sujet tabou chez les chasseurs amateurs de safaris. Pourtant, la chasse aux trophées en Afrique est une pratique directement héritée de l’ère coloniale. Rappelons qu’au cours du 20ème siècle, les chasseurs de trophées occidentaux ont failli exterminer purement et simplement certaines des espèces les plus emblématiques du continent. Depuis, une régulation a été mise en place par les Etats avec des permis et des quotas pour tenter de pérenniser l’activité.
Lors de la colonisation, les peuples indigènes ont systématiquement été expulsés de leurs terres. Les colons ont introduit la notion de propriété privée et ont interdit l’accès aux autochtones dans les réserves de chasse. Cette situation est encore largement répandue en Namibie et en Afrique du Sud où la plupart des game farm – littéralement des « fermes privées à gibiers » où les animaux sauvages sont élevés pour la chasse – sont délimitées par des clôtures.
L’écrasante majorité des propriétaires terriens sont blancs tandis que les travailleurs sur les fermes sont noirs. Ils travaillent dans des conditions difficiles, sont mal payés et le management est très souvent inspiré du paternalisme et d’idéologies racistes.
« La chasse aux trophées est réglementée aujourd’hui »
Des pays comme la Tanzanie, le Mozambique et le Zimbabwe affichent des taux de corruption parmi les plus élevés du monde selon l’ONG Transparency International. La frontière entre braconnage et chasse aux trophées est très mince dans certains pays. L’industrie de la chasse alimente l’accaparement des terres et une petite élite se partage les revenus du secteur.
Même dans des pays où la corruption est moindre comme en Namibie et en Afrique du Sud, les organisations comme le SCI (Safari Club International) influencent les décisions des gouvernements.
On le voit également avec les données sur de la CITES sur l’importation et l’exportation trophées, la maigre régulation actuelle n’est pas respectée. Dans certains pays les quotas sont trop hauts, dépassés, des femelles lions sont abattues, etc.
La position de l’UICN
En 2016, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature publiait un papier demandant aux dirigeants européens de bien faire attention aux conséquences néfastes que pourraient avoir une suspension des importations de trophées de chasse.
Dans un autre document daté de 2012, l’UICN reconnaît que la chasse aux trophées, lorsqu’elle est bien gérée, peut être durable et générer d’importants revenus pour la conservation des espèces cibles et de leurs habitats en dehors des zones protégées.
Pourtant, l’UICN publiait en 2009 une vaste étude (UICN/PACO, 2009) de plus de 100 pages qui concluait ainsi « Le rôle de la grande chasse est négligeable d’un point de vue économique et social, surtout lorsqu’on se réfère aux surfaces considérables qui sont concernées. De ce fait, la grande chasse a plutôt un effet négatif sur le développement ». Cependant, l’étude reconnaît que les zones de chasse ont permis de préserver de l’anthropisation de vastes territoires qui fonctionnent en autofinancement.
La position de Wildlife Angel
• L’IUCN considère que la chasse aux trophées est bénéfique à la conservation lorsqu’elle est bien gérée, or c’est loin d’être le cas dans tous les pays de grande chasse où l’Etat manque de moyens pour combattre la corruption et faire respecter la réglementation.
• Au vu des données récoltées par les dernières études, la chasse aux trophées telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui n’apparaît pas comme une stratégie de conservation durable et efficace pour l’avenir.
• Cependant, il existe des contre exemples où les zones de chasse possèdent plus d’animaux que les parcs nationaux voisins.
• Autre avantage des zones de chasse, elles bordent souvent les parcs nationaux et permettent de créer des zones tampons indispensables dont l’entretien et la protection sont financés grâce aux fonds apportées par les chasseurs.
• La chasse aux trophées du lion en Afrique de l’Ouest où la population dépasse à peine les 400 individus menace la survie de cette sous-population. Les quotas de chasse sont trop élevés, ils ne sont pas respectés et de nombreuses irrégularités subsistent dans le milieu.
• De manière générale, la chasse aux trophées de certaines espèces devrait être beaucoup plus encadrée voire interdite lorsque la population des animaux arrive en-dessous d’un certain seuil. Dans le cas des léopards, il est très difficile voire impossible d’évaluer le nombre d’individus sur un territoire. Comment fixer des quotas de chasse tout en étant certain de ne pas porter atteinte à l’avenir de l’espèce dans ces conditions ?
• Les mauvaises pratiques des chasseurs perturbent énormément les animaux et altèrent le patrimoine génétique d’une population, la chasse n’est donc pas un outil de régulation bénéfique aux espèces cibles.
On le voit, le principal avantage aujourd’hui de la chasse aux trophées est l’aspect financier. Les fonds apportés par les chasseurs permettent à un gestionnaire de zone de chasse de financer l’entretien de sa zone et parfois d’embaucher des éco-gardes.
Bannir la chasse aux trophées sans avoir au préalable construit une alternative réaliste ne ferait qu’empirer une situation déjà critique. Les zones de chasse bordant les parcs nationaux seraient purement et simplement abandonnées. Elles seraient par la suite accaparées par les agriculteurs/éleveurs ce qui réduirait encore un peu l’habitat de la faune sauvage et augmenterait la pression anthropique sur les écosystèmes déjà fragilisés des parcs nationaux.
L’interdiction de la chasse aux trophées impliquerait donc de construire une autre stratégie de revenus pour continuer à entretenir ces zones, à former des éco-gardes, etc. L’éco-tourisme pourrait se substituer à la chasse mais il nécessite d’investir dans des infrastructures (lodges, aérodrome, routes, etc) et d’employer plus de personnel. Cela nécessite des fonds et pour le moment personne ne semble se bousculer pour investir.
En conclusion, malgré ses nombreux travers, la chasse aux trophées est à l’heure actuelle un mal nécessaire en l’absence d’alternative pour financer les aires protégées hors parcs nationaux et les zones tampons bordant les parcs nationaux.