La fondation EMS et Ban Animal Trading ont publié un rapport indiquant que l’Afrique du Sud a exporté au moins 5 035 animaux vivants vers la Chine entre 2015 et 2019. C’est une estimation très conservatrice obtenue en inspectant méticuleusement les permis d’exportation. Les espèces exportées sont plutôt variées : koudou, girafe, chimpanzé, manchot du Cap, loup, lémur catta ou encore tigre du Bengale (45 sur la période). Le rapport révèle que les exportations ont continué même pendant le pic de l’épidémie de COVID-19 en Chine.
D’après les données de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), le nombre d’animaux sauvages échangés dans le monde est passé de 25 à 100 millions entre 1975 et 2014. Mais ces chiffres sont certainement très loin de la réalité car seules les espèces considérées comme menacées sont répertoriées par la CITES. En Chine, le commerce d’animaux sauvages vivants et leur consommation – un marché en grande partie non régulé et illégal – représente un marché estimé à 520 milliards de yuan, soit 74 milliards de dollars.
Concernant les données CITES du rapport de la fondation EMS et de Ban Animal Trading, il s’agit donc uniquement du commerce supposé légal. Les innombrables failles de ce système de régulation ouvrant la porte à de multiples fraudes sont dénoncées depuis des années par une multitude d’acteurs de la conservation et de journalistes d’investigation, mais les dirigeants politiques ne font rien car les intérêts économiques en jeu sont trop importants et le lobbying du secteur privé au niveau des institutions européennes et internationales n’a probablement jamais été aussi important. C’est à se demander si cette « gouvernance mondiale » sur laquelle les citoyens n’ont aucune emprise ne représente pas davantage le problème que la solution.
Une fois encore, ce rapport démontre l’étendue du problème par l’analyse des exportations sud-africaines vers la Chine :
– 18 chimpanzés exportés légalement vers la Chine pour une valeur de 7,5 millions de rands (environ 381 000 euros), grâce à un permis CITES, par le Hartebeespoort Snake and Animal Park sud-africain non listé comme un organisme habilité à un programme de reproduction de chimpanzés. Rien n’indiquait sur le permis si ces primates – classés en Annexe I de la CITES, soit le plus haut niveau de protection – avait été acquis légalement ou capturés dans la nature. Un permis n’aurait jamais dû être attribué sans cette information cruciale;
– 10 guépards – espèce aussi classée en Annexe I de la CITES – vendus au zoo de Zhengzhou en 2018, le permis d’importation non signé a été émis après le permis d’export, en violation de la régulation CITES.
Sur les 5 035 animaux vivants exportés entre 2014 et 2019, au moins 2 465 ne sont pas réglementés par la CITES. Ainsi, 35 lycaons ont été vendus pour 1 million de rands (50 000 euros) à la Chine entre 2018 et 2019 alors que l’espèce est classée en danger d’extinction en Afrique du Sud et que la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) répertorie seulement 1 409 individus matures à l’état sauvage. Comme pour le léopard évoqué dans un post Facebook récemment, le monde de la conservation met très peu en avant le sort des lycaons et des guépards, alors que les deux espèces sont tout autant menacées – sinon plus – que le rhinocéros noir par exemple.
Sur les 1 394 suricates exportés vers la Chine durant la période pour 600 000 rands (plus de 30 000 euros), la destination exacte est inconnue pour 1 154 d’entre eux. Même chose avec 321 girafes vendues pour 7 millions de rands (355 000 euros) à un seul zoo – Jinan Wildlife World – où seuls 16 individus étaient effectivement présents. Nulle trace des 305 autres individus et aucun moyen de savoir où ces derniers ont été envoyés.
Selon le rapport, la majorité des permis analysés était en violation de la réglementation CITES et présentait une ou plusieurs informations fausses, vagues ou suspectes. Au lieu d’offrir une protection aux animaux sauvages, ce système conçu en principe pour réguler le commerce mondial facilite au contraire le trafic illégal en fournissant une plateforme de blanchiment des animaux braconnés dans la nature qui intègrent ainsi les flux légaux du commerce mondial.
Mais l’Afrique du Sud est loin d’être le seul pays à exploiter les failles du système CITES, comme le révélait une enquête de l’Environment Investigation Agency (EIA) publiée en 2017. Le Nigéria, via sa ministre de l’environnement Amina J. Mohammed, avait émis 4 000 permis CITES pour autoriser l’exportation vers la Chine d’une quantité de bois de rose (ou palissandre) d’une valeur d’au moins 300 millions de dollars. Ce bois précieux est utilisé en Chine pour la fabrication de meubles de luxe destinés aux classes privilégiées. Si les containers contenant la précieuse marchandise étaient empilés les uns sur les autres, ils formeraient une tour de la largeur de l’Empire State Building et de trois fois sa hauteur. Amina J. Mohammed a passé ses derniers jours au ministère de l’environnement à signer des milliers de permis CITES pour autoriser l’exportation de ces containers avant de prendre un avion pour New York afin d’y être nommée vice-secrétaire générale des Nations Unies, poste qu’elle occupe toujours aujourd’hui. EIA révèle également que les autorités nigérianes ont reçu au moins 1 million de dollars en pots-de-vin pour cette opération.
Comme dans le cas du commerce légal des animaux sauvages, les routes commerciales créées pour le commerce légal du bois permettent d’écouler, via une corruption omniprésente dans les pays exportateurs et quasi-institutionnalisée au sein des grandes instances internationales, le bois coupé illégalement. Selon l’Atlas mondial des flux illicites publié par Interpol en 2018, l’exploitation forestière illégale représente entre 15 et 30 % du commerce licite mondial.
Ce commerce mondial de la faune et de la flore poursuit la logique d’une vision purement utilitariste de la nature menant soit à son pillage, soit à sa destruction pure et simple dans un système où l’argent est roi. Mais ce juteux business est une insulte pour toutes les associations et organisations à taille humaine travaillant sur le terrain, c’est aussi et surtout une insulte pour les rangers qui se battent sur le terrain et risquent leur vie pour protéger la vie sauvage.
Crédits photo : Ban Animal Trading, 2018