C’est le constat d’une nouvelle étude publiée il y a quelques jours dans la revue Current Biology[i]. Interdire la viande issue d’animaux sauvages menacerait sérieusement la sécurité alimentaire dans de nombreux pays, partout dans le monde, avec en tête deux pays d’Afrique : la Côte d’Ivoire et le Botswana. Dans d’autres pays africains – Cameroun, Ghana, Rwanda, Éthiopie, Niger, Nigéria ou encore Guinée –, la proportion de protéines provenant de la viande sauvage est importante.
Selon les auteurs, une prohibition pourrait avoir des conséquences perverses, comme la prolifération des réseaux de commerce illicites, faisant pression à la hausse sur les prix, alimentant la corruption et les inégalités.
« Les interdictions peuvent également avoir d’autres conséquences perverses, telles que la prolifération des réseaux de commerce informels et illicites, qui compromet la surveillance fondée sur des preuves et l’atténuation des maladies, et peut faire augmenter les prix et alimenter la corruption et l’inégalité dans les endroits où les autorités sont peu présentes. »
Autre conséquence anticipée, des changements majeurs d’usage des terres pour remplacer la viande sauvage par de la viande d’élevage, ce qui nécessiterait à l’échelle globale de convertir 124 000 km² de terres ; c’est quatre fois la surface de la Belgique. Cette modification de l’usage des terres menacerait plus de 260 espèces.
Une telle mesure contribuerait également à empirer la situation des groupes sociaux déjà marginalisés – peuples autochtones et communautés rurales – qui dépendent bien souvent presque exclusivement de la chasse et/ou de la pêche pour leur apport en protéines. Il peut aussi y avoir une forte dimension coutumière et donc culturelle associée à ces pratiques.
« Les droits et les valeurs culturelles des populations indigènes de la forêt atlantique brésilienne (et des territoires indigènes du monde entier) seraient violés si toute chasse et toute consommation étaient interdites. Ces groupes sont déjà vulnérables aux chocs du système alimentaire, et la fermeture des marchés d’animaux sauvages pourrait supprimer un important filet de sécurité socio-économique et nutritionnel.
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Comme le montrent nos résultats, certains des pays les moins développés du monde (par exemple, la Côte d’Ivoire, Madagascar, la République du Congo ; figure 1, figure S1) sont ceux qui risquent le plus de subir les conséquences négatives des interdictions sur la viande d’animaux sauvages. Les systèmes alimentaires fragiles auraient du mal à absorber ou à s’adapter à la perte de viande sauvage due aux régimes alimentaires. Cela pourrait intensifier les problèmes de santé chroniques dus à la malnutrition, tels que le retard de croissance et l’altération des fonctions cognitives, et faire peser un fardeau supplémentaire sur la société43, 44, 45, 46 ou créer de graves compromis entre sécurité alimentaire et conservation (figure 1). Ces conséquences rendent les interdictions complètes impraticables ou inacceptables dans de nombreux pays :
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Les peuples indigènes, les communautés rurales et les groupes socialement marginalisés pourraient être les plus durement touchés, ce qui pourrait créer de nouvelles inégalités et accentuer les inégalités existantes. »
Un article de Mongabay[ii] indiquait que « la chasse pour la viande de brousse est une question complexe étroitement liée au développement et influencée par une série de facteurs qui varient d’un endroit à l’autre. »
Il ne peut y avoir une réponse globale et unilatérale à ce type de problématique, ce serait un affront à la souveraineté de millions de personnes qui ne vivent pas selon les standards culturels des pays industrialisés.
La problématique du commerce de viande de brousse doit être résolue en collaboration avec les populations qui en sont le plus dépendantes pour leur subsistance. Selon les auteurs de l’étude, il existe des solutions :
« Une réglementation fondée sur les risques pourrait constituer une approche plus pratique et socialement plus juste : empêcher l’utilisation et le commerce des espèces menacées d’extinction qui se reproduisent lentement ou de celles qui présentent un potentiel zoonotique élevé (par exemple, les grands singes et les chauves-souris) tout en autorisant l’utilisation et le commerce des espèces à croissance plus rapide qui présentent un potentiel élevé de gestion durable et des risques minimaux pour la santé publique (par exemple, les espèces de poissons et de crustacés), les rats des roseaux, certains amphibiens et reptiles). Par exemple, en Amazonie, il existe des exemples de chasse de subsistance bien réglementée qui favorisent la conservation de la biodiversité et le bien-être humain. Ces stratégies aux coûts limités permettent de contrôler les zoonoses en donnant aux ménages et aux communautés les moyens d’assumer la responsabilité du contrôle des maladies. Dans les zones rurales du Nigéria et de la Chine, l’élevage à petite échelle d’espèces à faible risque de maladie comme les reptiles, les amphibiens et les rats des roseaux pourrait fournir des sources de protéines durables, satisfaisantes pour les préférences gustatives locales et présentant moins de risques de perte de biodiversité et de maladies infectieuses que le bétail domestique conventionnel. Dans certains cas, il peut être possible de remplacer la viande d’animaux sauvages par d’autres formes de protéines végétales ou animales ; toutefois, ces efforts doivent être durables, respecter les coutumes et les capacités des populations touchées et éviter une dégradation supplémentaire de l’habitat et les risques liés aux maladies infectieuses émergentes en élargissant les interfaces entre l’homme, la faune et le bétail. Les communautés touchées doivent également être incluses dans le processus décisionnel, pour des raisons pratiques, éthiques et juridiques. »
Ajoutons que l’Afrique du Sud et la Namibie ont basé une partie de leur stratégie de conservation sur l’élevage de gibier pour produire de la viande, et ça n’est pas près de changer. Cela vient renforcer la conclusion des auteurs de l’étude, à savoir qu’une interdiction totale et globale de la viande de brousse serait illusoire et très certainement contre-productive.
Wildlife Angel a déjà pris en compte ces paramètres en intégrant dans ses formations une classification des différents types de braconnage. Objectif : apprendre aux rangers à distinguer la chasse coutumière/de subsistance du braconnage commercial ou du braconnage mafieux pratiqués à grande échelle dans un but purement lucratif. Notre mission consiste également à travailler avec les communautés locales pour trouver des revenus alternatifs aux personnes qui n’ont d’autre choix que de braconner pour gagner un peu d’argent.
[i] https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(21)00144-5
[ii] https://news.mongabay.com/2020/10/bushmeat-hunting-the-greatest-threat-to-africas-wildlife/