La 18ème Conférence des Parties de la CITES (Convention sur le commerce international d’espèces menacées) réunissant les 183 Etats membres s’est tenue du 17 au 28 août à Genève. La leçon à tirer de cet événement ? Il y a un décalage frappant entre les quelques ridicules mesures prises durant cette CoP et l’ampleur de la dévastation en cours du monde sauvage. Les participants osent même se féliciter de ces pitoyables « avancées ». A se demander si nous vivons dans le même monde…
Faut-il rappeler aux gouvernements, aux grandes ONG environnementales toutes présentes à la table des négociations lors de cette CoP et aux acteurs du monde économique également présents que nous sommes responsable de la 6ème extinction de masse ? Nous exterminons littéralement le vivant. Plusieurs centaines d’espèces disparaissent tous les jours et celles-ci s’éteignent 100 à 1000 fois plus rapidement que dans des écosystèmes stables selon Franck Courchamp, chercheur en écologie au CNRS. Cet effondrement de la biodiversité a déjà un impact majeur dans certaines régions et pour certaines populations.
La secrétaire générale de la CITES Ivonne Higuero a déclaré :
« L’humanité a besoin de répondre à la crise grandissante de l’extinction des espèces par une transformation du mode de gestion des animaux et des plantes. Le business as usual n’est plus une option. »
A la lecture du communiqué de presse récapitulatif de cette 18ème CoP, force est de constater que le business as usual a encore de beaux jours devant lui étant donné le manque d’ambition chronique des pays membres de la CITES. Les rares décisions positives semblent totalement dérisoires face à l’ampleur de la crise écologique et de l’extermination du vivant en cours.
Chose importante à noter comme le rappelle l’EIA (Environmental Investigation Agency), tous les progrès – même minimes – réalisés durant la CoP18 dépendent de l’application et de leur transcription dans la loi de chaque pays membre puis du maintien de l’ordre, de la bonne gouvernance, etc. Autrement dit, ces réunions au sommet à palabrer ne servent pas à grand-chose si un pays membre de la CITES n’a pas les moyens financiers ou la volonté de s’attaquer au trafic.
Interdiction de la vente des stocks d’ivoire maintenue
Botswana, Zimbabwe, Zambie et Namibie souhaitaient obtenir l’autorisation de vendre leurs stocks d’ivoire pour « financer la protection des éléphants ». Cette proposition a été rejetée en majorité malgré les menaces du Zimbabwe de claquer la porte de la CITES, le chef de l’Etat Emmerson Mnangagwa ayant déclaré :
« Les Européens ont laissé disparaître tous leurs animaux. Mais ils veulent imposer des règles à ceux qui ont réussi à protéger les leurs. »
Une déclaration qui a certainement dû provoquer quelques fous rires parmi les personnes au courant de la « protection » des animaux pratiquée par les autorités au Zimbabwe.
Nous sommes allés vérifier les archives sur la base de données en ligne SpeciesPlus et il s’avère que le Zimbabwe obtient chaque année de la part de la CITES l’autorisation d’exporter 1000 trophées et de faire chasser 500 éléphants depuis 2004. C’est le quota le plus élevé parmi tous les pays d’Afrique. Une idée particulière de la protection de la nature.
Autrement dit, la CITES, institution internationale censée « réguler le commerce » a autorisé en 14 ans l’abattage légal de 7 000 éléphants alors que le braconnage et la disparition de l’habitat exerçaient déjà une pression intense sur l’espèce. En 2016, l’indicateur MIKE publié par la CITES indiquait déjà une pression du braconnage en augmentation, le quota n’a pas bougé en 2017 et 2018. En 2016, le Great Elephant Census répertoriait plus de 82 000 éléphants au Zimbabwe avec un ratio de carcasses de 8 %, seuil critique à partir duquel la population commence à décliner. Dans la région de Sebwunge, les populations étaient en chute de 74 %.
Même bien avant, tout indiquait que le braconnage était en augmentation dans ce pays gangréné par la corruption où les officiels du gouvernement et leurs amis sont largement impliqués dans le trafic d’ivoire.En 2013, 300 éléphants ont été empoisonnés au cyanure autour d’un seul point d’eau. La même technique tuant aussi d’autres animaux, carnivores et charognards se nourrissant des carcasses continue à être utilisée les années suivantes. La CITES a pourtant maintenu le même quota jusqu’en 2018.
Des éléphants mieux protégés, mais…
De nombreuses ONG et grands médias se félicitent de l’interdiction de capturer des éléphants pour les envoyer dans des zoos. Dernièrement, l’export d’une centaine d’éléphants du Zimbabwe vers la Chine avait suscité l’attention du public.
La première version du texte devait interdire purement et simplement le prélèvement d’éléphants sauvages en Afrique pour la captivité. L’Union Européenne et les Etats-Unis ont menacé de s’opposer fermement au texte. Finalement, l’UE a ajouté une exception détaillant que :
« Les éléphants devraient rester dans leur habitat naturel en Afrique, excepté dans des circonstances exceptionnelles où le transfert vers des sites ex situ offrira des avantages démontrables en matière de conservation in situ pour les éléphants d’Afrique. »
En réalité, cette petite faille insérée au dernier moment permettra de continuer à capturer des éléphants notamment dans des zones où les populations sont menacées, ce qui est le cas à peu près partout en Afrique. Le Eswatini (ancien Swaziland) est dans ce cas. Ce petit pays a exporté 17 éléphants aux Etats-Unis en 2016. Dans le cadre du texte actuel, ce type de transfert pourra continuer d’après National Geographic.
L’Union Européenne quant à elle a précisé qu’elle n’avait pas importé d’éléphants ces dix dernières années et ne souhaitait pas en importer durant la prochaine décennie. Mais elle y sera contrainte un jour ou l’autre. Les éléphants meurent prématurément en captivité et leur taux de reproduction dans ces conditions est très aléatoire.
L’idée d’importer des éléphants pour du réensauvagement aurait plus de sens, à la fois pour le bien-être des pachydermes et pour la santé des écosystèmes dans les pays occidentaux. La présence de grands animaux pourrait aider à combattre les effets du changement climatique, feux de forêts et fonte des sols en Arctique notamment. C’est une idée tout à fait sérieuse défendue par des scientifiques. Le rewilding est déjà pratiqué avec les bisons en Europe de l’Est par exemple.
L’Afrique du Sud peut faire chasser plus de rhinocéros noirs
L’Afrique du Sud a obtenu l’autorisation de quasiment doubler son quota d’exportation de trophées de chasse pour le rhinocéros noir, une espèce classée en danger critique d’extinction par l’IUCN. Depuis 2005, Namibie et Afrique du Sud obtiennent chaque année l’autorisation de faire chasser cinq rhinocéros noirs sur leur territoire pour « financer la conservation de l’espèce ».
En revanche, l’autorisation du commerce de cornes de rhinocéros blanc, d’animaux vivants et de trophées demandée par le Eswatini et la Namibie a été refusée.
Les girafes intégrées à l’annexe II
Les girafes font partie des animaux emblématiques d’Afrique également en déclin de 36 à 40 % sur les trois dernières décennies, principalement en raison de la disparition de leur habitat. Mais le braconnage pour leur queue et leurs os s’intensifie. La queue est un symbole de statut social dans certaines régions, dans d’autres les os sont utilisés pour fabriquer des bijoux voire même pour concocter des remèdes vendus comme cure pour le sida. De plus, la girafe est une source importante de viande de brousse et un animal facile à chasser.
La CITES a décidé de placer la girafe à l’annexe II rendant obligatoire l’obtention d’un permis pour chasser et commercer les parties de l’animal.
Une « Big Cat Task Force » mandatée
La CITES a fait l’annonce de la création d’un groupe de travail spécifique aux grands fauves pour s’attaquer au trafic illégal et promouvoir la conservation des tigres, lions, guépards, jaguars et léopards.
Aucun détail supplémentaire dans le CP sur ce qui ressemble plus à un effet d’annonce qu’autre chose.
Les pays du Sud-Est asiatique sont invités à s’attaquer au trafic illégal de félins, notamment à fermer leur marché domestique, renforcer leur législation, s’attaquer aux marchés touristiques vendant illégalement des parties de félins, de lancer des campagnes pour réduire la demande ou encore de mieux contrôler les fermes de tigres.
Les populations autochtones ont un rôle à jouer
La CITES encourage les pays membres à coopérer avec les communautés indigènes en matière de conservation et de gestion de la faune sauvage. Ces populations dépendent souvent des espèces de faune et de flore classées par la CITES. Elles sont les premières impactées par la raréfaction d’une ressource dont elles dépendent pour leur survie.
Une manière diplomatique de dire qu’il faudrait peut-être envisager de mettre un terme à l’extermination en cours des seules populations sur cette planète capables de vivre et prospérer sans ruiner le monde sauvage.
Au final, ce bilan nous conforte dans notre diagnostic de la situation et nous sommes plus déterminés que jamais à poursuivre nos actions aux côtés des éco-gardes sur le terrain.