Le 7 mars 1533, le Bom Jesus[1], un navire marchand portugais chargé d’or, de pièces d’argent, d’ivoire et de cuivre, partait d’Afrique pour rejoindre l’Inde. Il n’atteindra jamais sa destination, stoppé dans son périple par la côte namibienne. Découverte en 2008 dans une mine de diamant côtière, l’épave, la plus ancienne d’Afrique australe, révèle peu à peu ses secrets aux archéologues. Plus d’une centaine de défenses d’éléphants incroyablement bien préservées ont été exhumées. Leur état de conservation est dû au courant froid océanique appelé Benguela remontant les côtes de Namibie et d’Angola.
Les chercheurs ont déterminé que les défenses appartenaient davantage à des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) qu’à des éléphants de savane (Loxodonta africana), des éléphants de forêt provenant d’Afrique de l’Ouest et écumant (paradoxalement) des savanes boisées et broussailleuses. Aujourd’hui, la plupart des éléphants de forêt vivent dans les forêts luxuriantes du bassin du Congo et la plus importante population se trouve au Gabon, pays encore recouvert à près de 90 % par la forêt[2].
En analysant l’ADN mitochondrial – une empreinte génétique transmise par les mères de génération en génération – a révélé que les défenses appartenaient à 17 troupeaux distinctifs d’éléphants. Seuls quatre de ces lignées subsistent encore aujourd’hui, ce qui indique une perte importante de diversité génétique résultant du commerce intensif d’ivoire démarré il y a plusieurs siècles. « Les autres lignées ont disparu parce que l’Afrique de l’Ouest a perdu plus de 95 % de ses éléphants suite à plusieurs siècles de chasse [commerciale, NdT] et de destruction de l’habitat » selon le professeur Alfred Roca, l’un des auteurs de l’étude.
En raison de plusieurs siècles de chasse commerciale intensive, le nombre d’éléphants d’Afrique est passé d’environ 20 à 26 millions au XIXe siècle à 10 millions au début du XXe siècle. En Europe, l’ivoire était largement utilisée vers la fin du XIXe siècle pour la production en masse de peignes, touches de piano, manches de brosse et boules de billards. En 1913, les États-Unis consommaient 200 tonnes d’ivoire par an[3].
Durant la première moitié du XXe siècle, les élites d’Europe et d’Amérique du Nord (Theodore Roosevelt, Winston Churchill[4], etc.) se rendent en Afrique, le « continent sauvage » encore épargné par la civilisation occidentale, pour participer à des safaris de grande chasse et avoir une chance d’abattre le Big Five (éléphant, buffle, lion, léopard, rhinocéros). Avoir abattu un éléphant durant un safari est considéré comme une marque de prestige. Un chasseur professionnel pouvait abattre des dizaines d’animaux en une seule journée ; « Karamojo » bell, un Écossais issu d’une riche famille, a massacré à lui tout seul durant sa carrière de chasseur plus de 1 000 éléphants, 25 lions, 16 léopards, 4 rhinocéros blancs, 67 rhinocéros noirs ainsi qu’entre 600 et 700 buffles[5].
[1] https://africageographic.com/stories/of-ivory-elephants-shipwrecks-and-slaughter/
https://www.bbc.com/news/science-environment-55340975
[2] https://fr.mongabay.com/2020/03/lecotourisme-ne-suffit-pas-pour-developper-un-pays-entretien-avec-lee-white-ministre-gabonais-de-lenvironnement/
[3] https://peerj.com/articles/2354/
http://www.greatelephantcensus.com/background-on-conservation
[4] cité dans le livre Conservation Refugees, MIT Press, Mark Dowie, 2011.
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_big-game_hunters