Le Centre Européen d’Enseignement et de Recherche en Ethique (CEERE) organisait ce mercredi soir, 25 novembre 2015, une conférence intitulée « Faut-il considérer les grands singes comme des personnes ? ». L’institut de zoologie de Strasbourg accueillait Sabrina Krief, vétérinaire et primatologue, et Jean-Bernard Marie, Juriste international, devant un auditoire composé d’étudiants, de chercheurs et de personnes intéressés par cette thématique.
Sabrina Krief n’ayant pu venir à la conférence, c’est Cédric Sueur, primatologue et éthologue, enseignant-chercheur et auteur d’ouvrages sur l’étude du comportement des grands singes, qui l’a remplacée.
Selon M. Marie, il n’est pas évident de donner une définition précise de la personne. C’est la raison pour laquelle il lui semble préférable de se référer à la définition donnée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, datant de 1948, en particulier l’article premier stipulant que :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Les deux termes forts que souligne le juriste sont la raison et la conscience.
Les articles 3,4 et 5 insistent quant à eux sur le droit à la liberté et la sûreté, et sur l’interdiction d’esclavage et de torture.
Les grands singes n’ont pas de statut juridique particulier. Ils sont régis par les mêmes règles que les autres animaux. La CITES (Convention on International Trade of Endangered Species of wild fauna and flora) est une convention qui interdit de tuer les grands singes mais qui n’apporte aucun élément d’une quelconque reconnaissance juridique ni même d’une interdiction sur la captivité.
C’est donc à Cédric Sueur qu’il incombe de définir ces deux éléments-clés, issus de la Déclaration Universelle, la raison et la conscience, et surtout de démontrer, eu égard à sa forte expérience dans l’étude du comportement des grands singes, si ces deux concepts peuvent être appliqués aux primates.
- La conscience est étudiée essentiellement grâce au test du miroir qui permet d’estimer la reconnaissance de son corps. Il consiste à placer discrètement sur la tête de l’animal une marque colorée ne produisant pas d’odeur puis à observer si, lorsqu’il observe son image dans un miroir, l’animal réagit d’une façon indiquant qu’il reconnait que la tâche est placée sur son propre corps. Les primates, de même que certains autres animaux (dauphins, éléphants, pies) réagissent positivement à ce type de test.
- Qu’il existe une intelligence et une sensibilité animales, ne se conteste plus. En revanche qu’en est-il du raisonnement ? Les expériences multiples opérées auprès des chimpanzés, des bonobos ou des orang outang pour rechercher leurs capacités de logique, d’analogie et de causalité, prouvent qu’ils sont doués de raison. Un chimpanzé confronté à une pomme entière et coupée est mis en présence de trois objets : un couteau, un bol d’eau et un crayon. A chaque fois, c’est bien le couteau qu’il choisit.
D’autres expériences scientifiques ont mesuré également la capacité des primates à calculer, à ranger des nombres par ordre croissant ou décroissant, à anticiper certains événements mais surtout, et c’est le plus marquant dans le rapprochement vers l’être humain, à utiliser des symboles pour regrouper des objets en classe. Devant des symboles représentant la nourriture, les outils et les animaux, les primates étudiés sont capables de classer une banane parmi la nourriture, un marteau comme appartenant à la classe des outils, …
Ainsi, au travers des différentes expériences présentées, il paraît évident que les grands singes sont capables de conscience et de raison, et donc pourraient être assimilés à l’être humain au sens de l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’homme.
Des éléments intéressants sont cités par les deux intervenants relatifs à des procès récents qui ont reconnu, aux Etats-Unis principalement, des primates comme personnes non humaines. Ils font également référence à une Déclaration élaborée récemment par l’Inde pour reconnaître le statut de personne non humaine aux cétacés.
Au terme de cette conférence, il apparaît évident que les grands singes peuvent être résolument considérés comme des personnes non humaines (les spécialistes présents préférant le terme de personnes animales !). Toutes les expériences présentées attestent de la réelle capacité des primates à raisonner sur plusieurs axes et avoir la conscience de soi. La question qui se pose alors est la pertinence de légiférer pour reconnaître juridiquement ce statut de personne animale. Quels seraient alors les réels objectifs d’un tel travail ? Renforcer la protection des espèces, leur assurer, comme l’ont fait les Indiens, une interdiction de captivité, une tranquillité en les préservant de toute ingérence humaine dans leur environnement (notions de sanctuaire) ?