En 2018, le WWF publiait une grande enquête évaluant les conditions de travail des éco-gardes en Asie et en Afrique. Près de 4 700 réponses ont été récoltées sur 294 sites dans 17 pays dont 5 pays africains : Cameroun, Ouganda, République Centrafricaine, République du Congo et Kenya.
En Afrique, 1 339 éco-gardes ont répondu au questionnaire dont l’objectif était d’évaluer 5 domaines :
– Emploi
– Equipement
– Formation
– Santé et assurance
– Relations au travail
Le rapport « Life on the Frontline » donne une idée des conditions extrêmes dans lesquelles les éco-gardes sont obligés d’exercer un métier devenu très dangereux. Plus d’un millier de ces gardiens de la biodiversité ont perdu la vie ces 10 dernières années au cours de l’exercice de leurs fonctions.
Un salaire très faible et aucune prime de risque
Alors que le nombre moyen d’heures travaillées par semaine s’élève à 105 heures dont 55 heures la nuit, les éco-gardes sont 86 % à ne percevoir aucune compensation pour les heures supplémentaires.
Dans leur écrasante majorité (78%), leur rémunération ne prend pas en compte la dangerosité du métier. Le salaire moyen est à moins de 180 USD/mois, soit 6 USD/jour.
Le métier d’éco-garde est très éprouvant physiquement et les congés sont indispensables pour récupérer mais aussi pour passer du temps en famille. Là encore, il y a beaucoup de choses à améliorer car plus de 20 % n’ont aucun congé payé et 64 % ne perçoivent aucun revenu lorsqu’ils sont en arrêt maladie.
Equipement dérisoire ou inexistant
D’une manière générale, les rangers sont très mal équipés et les résultats de cette enquête viennent confirmer ce que nous avons constaté sur le terrain.
Si la plupart du temps les éco-gardes sont armés, ils sont tout de même 25 % à estimer l’armement insuffisant. On peut les comprendre car au Burkina Faso et au Niger, les terroristes cachés dans les parcs utilisent des lance-roquettes et des mitrailleuses lourdes lors de leurs raids. Quand certains éco-gardes ne sont même pas armés, d’autres patrouillent avec de vieux fusils…
Plus de 50 % estiment que l’équipement pour la communication est insuffisant. En patrouille, ils sont plus de 36 % à avoir rarement ou jamais accès à une radio pour communiquer. Impossible dans ce cas d’appeler des renforts en cas d’embuscades. Lorsque deux équipes sont en patrouille à deux endroits différents dans le parc, elles doivent absolument pouvoir communiquer entre elles. C’est indispensable pour travailler efficacement ainsi que pour garantir leur propre sécurité.
Autre information apportée par l’enquête, l’équipement personnel des rangers fait largement défaut. Là encore, nous l’avons constaté à maintes reprises. Ils sont plus de 50% à manquer d’équipement de navigation, à ne pas avoir d’uniforme ou de bonnes chaussures. Pour l’équipement concernant le couchage et l’abri, ce chiffre monte à 75 %.
Les rangers marchent de grandes distances dans des terrains parfois difficiles, le minimum vital est d’avoir de bonnes chaussures. Pourtant, ils sont 51 % à devoir acheter leurs chaussures de travail par leurs propres moyens. Même histoire pour le bivouac, ils sont 60 % à déclarer acheter leur équipement. C’est aussi un équipement indispensable lors des patrouilles en brousse s’étalant sur plusieurs jours.
Une formation largement insuffisante
Autour de 25 % des rangers estiment que la formation initiale et que les sessions de formation continue sont trop rares. D’après ce que nous avons constaté sur le terrain, ces chiffres sont probablement largement en-dessous de la réalité car ces résultats ont été obtenus sur une base déclarative, c’est donc une auto-évaluation. Pour évaluer de manière plus précise les besoins en formation, nous nous rendons sur place pour réaliser un audit et pour soumettre les éco-gardes à des tests.
Pour faire face aux situations urgentes, participer à des entraînements réguliers dans le but d’acquérir des automatismes peut vous sauver la vie. Là encore, les rangers interrogés manquent cruellement de formation continue, ne serait-ce que pour maintenir les acquis dans le temps.
Durant les 12 derniers mois, les éco-gardes ayant participé à une formation sont très minoritaires :
– 27 % pour les premiers soins d’urgence, c’est pourtant capital car ils sont livrés à eux-mêmes au milieu de la brousse
– 30 % ont participé à des exercices de patrouille
– 23 % se sont entraînés au combat ou à la traque d’une piste
– 32 % seulement ont réalisé des entraînements au tir
– Moins de 20 % ont une formation à la récolte de preuves sur la scène de crime, des données souvent indispensables pour faire condamner en justice les braconniers lorsqu’ils sont capturés
Plus de 80% estiment que les informations fournies par les communautés sont déterminantes dans le succès du métier de ranger, d’où l’importance de tisser des liens étroits avec les locaux habitant à proximité des parcs. Malheureusement, il y a encore du travail à faire car seulement 66% des rangers pensent avoir la confiance des communautés, certains sont même harcelés et battus comme nous allons le voir plus loin.
Près de 67 % des rangers proviennent des communautés locales situées à moins de 20 km du parc. C’est indispensable pour garantir la proximité avec les locaux, par exemple avec des rangers appartenant aux mêmes ethnies et parlant la même langue.
Risque élevé de maladies et de blessures, mais aucune couverture
Autre sujet souvent ignoré, la présence de nombreuses maladies infectieuses dans les zones d’intervention. En patrouille, 41 % des rangers n’ont pas accès à de l’eau potable et plus de 56 % n’ont aucune moustiquaire, c’est pourquoi ils sont nombreux à contracter des maladies infectieuses.
Plus de 72% des rangers ont contracté la malaria dans les 12 derniers mois et 43 % ont contracté une maladie grave ou une infection.
Preuve que le métier est dangereux, 9% des rangers de l’échantillon se sont fracturés un os et 20% ont subi une autre blessure grave sur la même période de 12 mois. La formation aux premiers soins est déterminante pour faire face à ce type de situation.
Concernant les autres besoins de première nécessité, 46% estiment manquer de traitements médicaux et 61 % d’eau.
Près de 50% n’ont aucune assurance en cas de blessure grave sur le lieu de travail et pour plus de 60 % la couverture pour la famille en cas de décès est inexistante.
Les principaux dangers pour les rangers :
– 77% craignent une rencontre avec des braconniers qui souvent n’hésitent pas à ouvrir le feu
– Plus de 70 % craignent également une rencontre avec les animaux sauvages. Les faits leur donnent raison, récemment lors d’une opération anti-braconnage au Malawi, un militaire anglais a été tué par un éléphant. La faune est parfois mal connue des rangers et ils ne savent pas forcément comment réagir lors d’une rencontre.
Harcèlement et agressions physiques
Près de 41% des rangers disent avoir été insultés ou harcelés par des membres des communautés locales et 43 % ont reçu des menaces durant leur prise de poste.
19,1 % des rangers interrogés ont été physiquement agressés durant leur travail par des membres de communautés locales.
Une autre information donne une idée des risques du métier. Les rangers sont violentés et harcelés même en dehors de leur travail. Récemment en RDC, deux rangers ont été agressés par un groupe de Pygmées alors qu’ils étaient en tenue civile et qu’ils n’avaient pas encore pris leur poste. L’un d’eux est décédé suite à ses blessures.
Comme l’explique Bertrand Chardonnet dans son étude « Reconfigurer les aires protégées en Afrique », intégrer les communautés locales sur un modèle participatif et démocratique est déterminant pour limiter ce type de conflit et garantir le succès de la conservation de la nature à long terme.