Parmi les stratégies visant à protéger le monde sauvage, occuper le terrain semble être l’approche la plus efficace, c’est en tout cas ce que nous apprend un article paru dans la revue Yale Environment 360 au sujet de la Réserve de Biosphère Maya (RBM) située au nord du Guatemala, contre la frontière mexicaine. A contre-courant de la doctrine dominante dans le monde la conservation – l’être humain doit rester un visiteur temporaire dans la nature –, la zone de la réserve qui est aujourd’hui restée presque intacte est habitée de manière permanente par des communautés depuis plusieurs générations. Cette partie peuplée d’humains que certains assimilent sans distinction à une espèce « nuisible » résiste bien mieux aux narcotrafiquants et aux coupes illégales que les parcs nationaux de la RBM.
Créée en 1990 afin de protéger la plus importante forêt humide d’Amérique Centrale, la RBM – troisième « hotspot » mondial de biodiversité – s’étend sur une zone équivalente à deux fois la taille du parc de Yellowstone. Les autorités ont découpé la RBM en parcs nationaux et en forêts communautaires autorisant une exploitation forestière artisanale, au grand dam des conservationnistes appelant à l’application stricte de la « conservation forteresse ». Conformément à la doctrine néocoloniale des puissantes organisations en charge du projet et de leurs bailleurs de fonds – Conservation International, The Nature Conservancy et USAID –, les 90 000 habitants devaient être expulsés de la RBM, mais ces derniers ont résisté. Et heureusement. Les forêts communautaires sont aujourd’hui presque intactes et habitées par des jaguars, pumas, tapirs, singes, alligators, aigles, et de nombreuses autres espèces. On ne peut pas en dire autant des parcs nationaux gérés par les autorités et les grandes organisations de la conservation cités précédemment.
Si les migrants illégaux, pauvres et n’ayant nulle part ailleurs où aller, envahissant les parcs nationaux de la RBM afin de pratiquer l’élevage et l’agriculture de subsistance sont montrés du doigt pour les dégâts environnementaux qu’ils provoquent, les images satellites révèlent qu’ils ne sont pas les principaux responsables de la déforestation. Les deux tiers de la déforestation proviennent d’énormes fermes financées par deux cartels Mexicains. Les narcotrafiquants achètent ces terres pour blanchir leurs profits avec un minimum de paperasse, mais également pour la situation géographique de la RBM à la frontière avec le Mexique, sur la route reliant les producteurs de cocaïne au Sud des consommateurs au Nord. Les narco-ranchers rasent la forêt, établissent des routes et des aéroports mais ne font pas d’autre utilisation de la terre. De manière étonnante, il n’y a quasiment pas d’élevage sur ces narco-ranchs. Les narco-fermiers sont intouchables. Les rangers des parcs ne peuvent pas faire grand-chose pour les expulser et doivent accepter les pots-de-vin s’ils veulent éviter des représailles sanglantes.
De leur côté, les communautés ayant gardé leurs droits – et donc leurs liens – avec la terre sont très actives pour protéger leurs forêts : construction de pare-feu et patrouilles constantes avec drones et tracking GPS pour empêcher les envahisseurs de coloniser leurs terres. Il y a parfois des drames. L’assassinat par des fermiers d’un des leaders communautaires rappelle que protéger la nature est avant tout un combat.
(Légende photo : entrée d’une zone où la collecte de bois et d’autres produits de la forêt est autorisée dans une forêt communautaire de la RBM, crédits : ACOFOP)