Dans un communiqué de presse du 10 mai 2019, la CITES confirmait que le braconnage menace toujours la survie de l’éléphant d’Afrique à long terme. C’est au travers du programme MIKE (Monitoring of Illegal Killing of Elephants) que l’intensité et l’évolution du braconnage sont évaluées. Il en ressort que le braconnage des éléphants est en recul depuis le pic de 2011. Toutefois, il reste à un niveau trop élevé pour maintenir la population de l’espèce. Il existe aussi de fortes disparités dans les données selon les aires protégées, les populations d’éléphants d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest étant de loin les plus menacées.
Le programme MIKE évalue les niveaux relatifs de braconnage en se basant sur l’indicateur PIKE (Proportion of Illegally Killed Elephants). Celui-ci est obtenu en faisant le rapport entre le nombre d’éléphants tués illégalement retrouvés et le nombre total de carcasses découvertes par les patrouilles de rangers. Une valeur supérieure à 0,5 signifie que la cause de mortalité principale des éléphants est le braconnage.
Evaluer l’intensité du braconnage
Le programme MIKE collecte des données sur Loxodonta Africana (Eléphant d’Afrique) et Elephas maximus (Eléphants d’Asie) dans 30 pays en Afrique et 13 pays en Asie. Ces données sont collectées par les autorités et des rangers sur le terrain. A chaque fois qu’une carcasse est découverte, les rangers déterminent la cause de la mort, l’âge et le sexe de l’animal, si les défenses sont encore présentes. Ils précisent aussi l’état de décomposition du cadavre.
Entre 2003 et 2018, ce sont 19 100 carcasses d’éléphants qui ont été découvertes et intégrées à la base de données MIKE pour l’Afrique. L’indicateur PIKE a connu un pic en 2011 à 0,77 quand 10 % des éléphants d’Afrique ont été braconnés. Il a diminué chaque année depuis pour descendre à 0,53 en 2017 et s’est maintenu au même niveau en 2018.
En 2018, 53 sites du programme MIKE ont récolté des données. Tous les sites en Afrique de l’Est dans la partie australe du continent ont soumis des rapports, tandis que seuls 12 sites sur 16 en Afrique centrale et 15 sur 18 en Afrique de l’Ouest ont soumis un rapport. Pour l’année 2018, ce sont 1 235 éléphants morts qui ont été découverts dont 520 répertoriés comme braconnés.
Les éléphants d’Afrique sont passés de 12 millions à 400 000
Ces niveaux élevés de braconnage – même dans le cas de zones où les éléphants sont nombreux et protégés – indiquent que les pertes annuelles ne seraient pas compensées par le taux de natalité. En d’autres termes, bien que le braconnage soit en diminution depuis le pic de 2011, l’espèce est toujours sur le déclin.
Selon le « African Elephant Status Report » de l’IUCN/SSC 2016, les éléphants sont passés d’un nombre estimé à 12 millions il y a un siècle à quelques 400 000 aujourd’hui.
La secrétaire générale de la CITES Ivonne Higuero déclarait :
« L’abattage illégal d’éléphants africains pour l’ivoire reste une menace significative dans la plupart des Etats de l’échantillon. Dans le même temps, la population en Afrique a été multipliée par 10 en passant de 125 millions à 1,125 milliards, créant une compétition pour les terres avec les éléphants. »
Au braconnage mafieux pour prélever l’ivoire s’ajoutent les conflits entre l’homme et l’animal. La perte d’habitat occasionnée par l’agriculture, la collecte de bois ou les activités extractives pousse par exemple les éléphants à piller les champs des paysans.
Le braconnage lié au prix de l’ivoire, à la pauvreté et à la corruption
Les modèles statistiques indiquent une corrélation forte entre les prix de l’ivoire et la variation annuelle du PIKE. Au niveau des différents sites, il y a une corrélation positive entre le braconnage et la densité d’habitants pauvres au km² ainsi que l’absence de personnel suffisant pour faire respecter la loi. Autre corrélation, plus la corruption gangrène un Etat, plus il y a de braconnage.
La « qualité » de la gouvernance (établie par le Corruption Perception Index de Transparency International) sert d’outil pour anticiper le braconnage. Une mauvaise gouvernance facilite grandement la logistique pour le trafic illégal de l’ivoire, du lieu d’abattage de l’animal jusqu’au point d’export. La gouvernance est aussi liée à l’IDH (Indicateur de Développement Humain).
Situation critique pour l’éléphant dans le centre et l’ouest de l’Afrique
L’indicateur PIKE affiche les valeurs régionales les plus hautes pour l’Afrique Centrale (0,73) et pour l’Afrique de l’Ouest (0,75).
Afrique centrale
- 3 263 carcasses répertoriées entre 2003 et 2017
- La population d’éléphants dans la région aurait décliné de 60 % entre 2002 et 2011, et le déclin aurait continué à un rythme d’au moins 9 % par an jusqu’en 2014 au moins.
- 20 carcasses retrouvées en 2018 dans le parc de Nouabalé-Ndoki, PIKE de 0,95
- En 2018, 16 éléphants braconnés dans le parc de Minkébé au Gabon et 12 éléphants braconnés dans le parc des Virunga en RDC, aucun éléphant décédé de mort naturelle
- Résultats plus encourageants pour le parc national de Lopé au Gabon (PIKE passé 0,20 à 0,11) et dans le parc Garamba en RDC (PIKE de 0,72 à 0,30).
Afrique de l’Ouest
- 739 carcasses répertoriées entre 2003 et 2017. La CITES avance que les échantillons de petite taille dans cette région ne permettent pas d’établir des tendances fiables. Les populations dans cette zone sont fragmentées et souvent composées d’un faible nombre d’individus. De plus la collecte des données n’est pas suffisamment rigoureuse dans cette zone.
- L’Afrique de l’Ouest est la région où les éléphants sont les plus menacées de par la taille de cette population. Selon le African Elephant Status Report de 2016, cette région a perdu 12 populations d’éléphants depuis 2007.
- Les niveaux de PIKE dans cette région sont hauts avec un niveau de 0,75 en 2017 et de 0,46 en 2018, mais l’intervalle de confiance permet d’émettre des doutes sur cette la fiabilité de cette tendance à la baisse
- Dans la sous-région, 70 % des carcasses sur 58 répertoriées pour 2018 ont été collectées dans le parc de la Pendjari et la réserve de biosphère au Bénin (contre 29 % sur 40 carcasses en tout pour 2017)
- Néanmoins, le PIKE a considérablement diminué en passant d’une moyenne de 0,91 sur 2014-2016 à 0,46 en 2018.
En comparaison, l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe ont des PIKE bien plus faibles :
Un outil d’évaluation : LECA (Law Enforcement Capacity Assessment)
Un formulaire d’évaluation envoyé aux équipes d’éco-gardes sur place a permis de mettre en avant les difficultés rencontrées.
Parmi les déclarations des équipes, on peut remarquer plusieurs tendances se dégager :
- La formation de base du ranger est déclarée comme « bonne » ou « adéquate », mais il y a un manque important du côté de la formation avancée et du perfectionnement
- Les équipements de communication et les conditions de travail sont dans l’ensemble mal notés
- Les travaux d’enquête et de renseignements sont les plus mal notés avec un manque cruel de personnel spécialisé et de gestion de l’information