Il est des histoires comme de certains films : on aimerait qu’ils n’aient existé que dans l’imagination de leur créateur. Malheureusement la réalité nous rattrape très souvent…
Voici les images rares d’une équipe, en l’occurrence celle d’un binôme de Wildlife Angel, en appui de la Brigade Félins au parc W Niger. Tout commence par un message qui arrive en urgence au quartier général, apprenant que des coups de feu ont été tirés près du fleuve Niger et qu’un éléphant mâle aurait été visé. Bien qu’il ne s’agisse pas de sa zone d’intervention, la brigade est dépêchée sur place afin de rendre compte au Conservateur et de prendre les mesures de sauvegarde qui s’imposent.
Nous croisons en route un responsable de la surveillance qui nous confirme qu’il s’est rendu sur place : l’éléphant a bien été braconné et il est blessé. Il est couché et très agité. Nous arrivons quelques minutes après sur le site en question. Un agent de surveillance nous accueille sur la piste en nous indiquant de la main l’endroit où gît l’animal.
Des images rares d’un éléphant braconné
Il est rare d’obtenir des images comme celles-ci saisies sur le vif. Depuis des années que l’on opère dans différentes zones d’Afrique, c’est la première fois que nous obtenons des images en temps réel, tournées au crépuscule avec une caméra infra-rouge. Nous avons eu la chance d’avoir un cameraman avec nous qui n’était pas venu pour cela mais qui nous permet aujourd’hui d’avoir des images qui reflètent exactement notre métier : sa dangerosité, sa rigueur et son émotion intense.
Une procédure stricte pour minimiser les risques
La situation est grave car on apprend que l’animal est blessé, qu’il a été touché sévèrement à la tête ; il doit souffrir énormément. Nous décidons d’approcher à deux, avec des éléments de la brigade en appui. Notre procédure, malheureusement répétée dans des situations antérieures identiques, comme on peut le voir dans l’extrait est la suivante :
- Approche en silence par l’arrière pour minimiser les risques, tout en tenant compte du sens du vent (réaction à l’odorat) ;
- Lancement d’une pierre en direction de la victime pour mesurer sa réaction au bruit (test de réaction à l’ouïe) ;
- Approche en contact arrière avec protection du binôme et test de réaction au toucher en tirant sur la queue de l’animal ;
- Prise en sandwich avec appui mutuel et test de réaction sur l’oeil (même si l’animal simule ou somnole les yeux ouverts, il ne peut pas ne pas réagir si on lui touche l’oeil).
Si l’animal ne réagit pas, c’est qu’il est mort. Il faut rester vigilants jusqu’à avoir la certitude de sa mort avant de faire venir le reste de l’équipe et commencer la préservation de la scène de crime.
Le chemin vers la mort
Ce n’est pas la première fois que ce binôme suit le chemin vers la mort. La dernière fois c’était en Namibie en suivant le « path to death » d’un rhinocéros. Alors que l’on chemine, on espère qu’on va le trouver vivant, blessé peut-être, mais sans gravité. On pense d’abord à lui, à ce qu’il doit ressentir, avant que de se sentir soi-même en danger. Le problème est que, contrairement à ce que l’on peut lire dans certains ouvrages s’appuyant sur des théories et non des histoires vécues, l’animal blessé, un félin, un éléphant, un rhinocéros ne fait pas de différence entre un criminel et un ranger. Pour lui, le danger mortel c’est l’homme. Et si c’est un de ses représentants qu’il aperçoit, il pourra le charger aussitôt pour se défendre. Et même si l’on sait qu’il ne nous fera pas de cadeau, nous sommes obligés d’approcher pour s’assurer de son état. Car s’il est mortellement touché, il est de notre responsabilité de lui porter le coup de grâce pour abréger ses souffrances. Et c’est là encore une autre étape de ce chemin vers la mort que je ne souhaite à personne de vivre. Celles et ceux qui un jour ont du amener leur animal de compagnie chez le vétérinaire pour une injection létale savent précisément quels sentiments l’on éprouve dans une telle situation.
Car chaque fois que l’on approche un animal qui vient de mourir ou sur le point de mourir, c’est toujours un moment d’une émotion incroyable. On sait à cause de qui il gît à nos pieds. On en veut à la terre entière, à notre espèce. L’éléphant que l’on voit dans cet extrait ne s’appelait pas Cécil, ou Vince ; il n’était connu de personne, aucun scientifique ne s’était préoccupé de son sort, mais il est mort un soir de mars dans l’indifférence générale.
Malgré notre présence, les patrouilles qui sont déployées régulièrement sur le secteur, des individus ont osé lui ôter la vie pour quelques kilos d’ivoire, qu’ils n’ont même pas récupérés. Mais la lutte sera longue, nous parcourons encore de nombreux chemins vers la mort, mais tout cela dans le but d’aller ensemble sur le chemin vers la Vie.