En ce samedi 30 avril 2016, le Kenya s’apprête à vivre un événement qui concerne la communauté de la conservation mondiale : pour lutter contre le braconnage et le trafic illégal d’ivoire, Uhuru Kenyatta, le président du Kenya, a décidé de brûler près de 105 tonnes d’ivoire issues des stocks de saisie du pays.
Le braconnage des éléphants
Avant de rentrer dans les détails de l’opération et de s’intéresser aux conséquences d’un tel acte, resituons le contexte et l’état des populations d’éléphants en Afrique. Leur effectif s’élevait à 1,2 millions au début des années 80 alors qu’on l’évalue à moins de 500 000 aujourd’hui, étant entendu que ces chiffres sont des approximations.
A l’heure actuelle, on dénonce environ 30 à 35 000 abattages illégaux par an, ce qui fait 1 éléphant massacré pour son ivoire toutes les 15 minutes !
La population décroît à grande vitesse et certains scientifiques avancent même la possibilité d’une extinction de l’espèce à l’état sauvage d’ici dix à quinze ans. Mais la complexité de la situation nous oblige à sortir de cette vision macroscopique pour rentrer plus dans le détail en tenant compte des disparités régionales.
En Afrique centrale, l’éléphant est considéré comme en danger sévère, c’est-à-dire avec un fort risque d’extinction à court terme. En Afrique de l’est (Kenya et Tanzanie), et de l’ouest (Niger, Burkina Faso, Côte d’ivoire, Bénin, …), il est vulnérable selon le texte officiel, traduisons, avec un risque possible d’extinction à moyen terme. Quant à l’Afrique australe (Afrique du sud, Botswana, Namibie et Zimbabwe), la préoccupation est mineure car les éléphants sont considérés comme abondants et leur population s’accroît surtout au Botswana et quelque peu en Namibie. C’est ce qui explique aussi pourquoi la CITES a déclaré l’éléphant en Annexe 1 pour toute l’Afrique, sauf pour les 4 pays cités d’Afrique australe, ce qui fait grincer des dents de nombreux détracteurs partout dans le monde. Le classer en Annexe 2 permet en fait d’autoriser le commerce des parties de l’animal (défenses entre autres) mais sous certaines conditions.
Comment combattre le braconnage ?
Ceci étant dit, aujourd’hui le Kenya annonce donc qu’il va brûler 105 tonnes de défenses d’éléphants provenant de son stock de saisies ; il s’inscrit dans la continuité de son opération précédente déclenchée en mars 2015 avec une quantité bien plus faible.. Il s’agit, selon le gouvernement de Kenyatta et des présidents gabonais et ougandais invités à la « cérémonie », de créer en ce jour un acte d’engagement fort dans la guerre contre le trafic illégal d’ivoire et le braconnage.
Je rappellerais tout simplement que le pays a déjà procédé par le passé à une telle opération ; c’était bien moins médiatisé, la quantité de défenses était moindre et cela avait lieu en 1989. Une opération similaire avait d’ailleurs été reproduite en 2011.
Devant l’absence de résultats, les décideurs kenyans de l’époque avaient décidé, en accord avec la CITES, de procéder à l’inverse et de faire chuter le cours de l’ivoire en vendant sous contrôle des défenses de saisie sur le marché. Ainsi, en 1997 et 2007, de grosses quantités d’ivoire avaient été mises en circulation de manière officielle. Ces actions de communication n’ont eu aucune conséquence et les courbes de massacre des populations n’ont pas été infléchies : ces opérations n’ont eu aucun effet !
Certains chiffres annoncent que la Tanzanie et le Mozambique ont perdu la moitié de leurs effectifs d’éléphants en vingt ans. Et que dire du Kenya qui en a perdu plus des trois quarts ?
Cette opération est un gros coup de marketing pour montrer à l’opinion publique internationale que le Kenya sait réagir. Le monde a été ébranlé par les revers successifs de tous les pays africains dans leur lutte contre le braconnage et la criminalité organisée, dans leurs mauvais résultats pour diminuer la corruption qui gangrène les institutions des pays concernés, et par des histoires abominables véhiculées et amplifiées par les réseaux sociaux comme celles des lions Cecil au Zimbabwe et Mohawk au Kenya.
Il fallait réagir, faire du bruit, montrer que l’on est déterminé. Quel beau spectacle que ces montagnes de défenses sacrifiées sur l’autel de la cupidité ! La détermination, c’est précisément ce qui manque aux gouvernements africains pour prendre résolument à bras le corps la lutte contre le trafic d’espèces sauvages.