Un bras de fer vient d’être récemment engagé entre le gouvernement tanzanien et le WWF. L’ONG internationale vient de rédiger un rapport pointant la Réserve du Selous, en Tanzanie, plus grande zone protégée du pays qui possède la plus grande concentration d’éléphants africains sur le continent. Quand on dit « qui possède », cela est certainement exagéré dans la mesure où le rapport souligne précisément que ce n’est plus du tout le cas.
Le rapport du WWF
En effet, selon le rapport, le Selous a vu sa population d’éléphants réduite de 90 pour cent en moins de 40 ans en raison du braconnage pour l’ivoire. En 1976, près de 110 000 éléphants parcouraient les savanes, les zones humides et les forêts du Selous. Mais de nos jours, selon un recensement réalisé en 2013 par l’institut de recherche Tawiri, seulement 13 000 ont été repérés dans l’écosystème.
Le rapport souligne également que le site est menacé par l’exploration pétrolière et gazière et l’extraction minière. Cette menace ne se traduit pas uniquement dans les conséquences écologiques que l’on suppose, mais elle impacte financièrement les possibilités de développement des communautés locales, qui pourraient recourir alors au braconnage des éléphants pour survivre.
75% des terres du Selous sont couvertes par les concessions pétrolières et gazières, et 54 concessions minières ont été recensées. De plus, il y a un projet sur la réserve de construction d’une mine d’extraction d’uranium dont l’impact écologique sur les eaux, la flore et la faune sauvage n’ont pas été étudiés. Il est intéressant de noter que les routes qui ont été construites pour permettre les rotations des engins de construction ont grandement facilité les déplacements des braconniers dans la réserve.
Un projet de barrage visant à réguler les eaux de la rivière Rifiji menacerait là encore les populations locales vivant à proximité du cours d’eau.
L’étude montre également comment la disparition des éléphants du Selous aurait un effet négatif sur la partie de l’économie tanzanienne fondée sur la nature sauvage. La réserve génère actuellement 6 millions de dollars de revenus annuels qui sont répartis entre le site, l’Etat et les communautés locales, ce qui fait vivre un peu plus de 1,2 millions de personnes.
Selon Chris Gee du WWF :
« Ce braconnage de niveau industriel est non seulement dévastateur des populations d’éléphants mais il menace les moyens de subsistance des communautés locales et peut détruire ce site du patrimoine mondial ».
Cinq propositions sont formulées à la fin du rapport pour aider le gouvernement tanzanien à mettre en place rapidement des solutions qui permettraient d’endiguer ce phénomène et protéger les populations fauniques en danger.
- Une prise en compte des impératifs sociaux au travers d’une étude socio-économique d’évaluation de l’impact des activités envisagées, utiles aux décisions futures.
- La recherche de valeur à long terme dans les décisions d’investissement (tourisme durable) plutôt que de favoriser exclusivement la vision court terme (activités minière, pétrolière ou gazière).
- Une gouvernance représentative de tous les bénéficiaires, en incluant dans le processus de prise de décision les besoins et les opinions des personnes vivant à proximité de la réserve.
- Des politiques transparentes et factuelles, en recherchant le soutien total de tous les services de l’état, ainsi que des groupes de la société civile et des experts techniques.
- L’application et le suivi de la réglementation existante.
La position du gouvernement
L’état tanzanien a réfuté les revendications contenues dans le rapport sur la réserve Selous, et surtout la partie annonçant la disparition des éléphants d’ici 2022.
Le ministère des Ressources naturelles et du tourisme a plutôt critiqué le WWF pour avoir omis de prendre en considération les efforts déployés pour lutter contre le braconnage dans le pays. Le Secrétaire permanent au sein du ministère, le général Gaudence Milanzi, a souligné l’exagération de l’étude de l’ONG. Selon lui, le gouvernement a fait des efforts délibérés visant à freiner le braconnage, y compris la création récente d’une unité de criminalité de la faune et la formation des gardes comme unité paramilitaire dans le cadre de la stratégie de lutte contre le braconnage.
« Nous ne réfutons pas le fait qu’il y ait du braconnage dans la réserve de gibier du Selous, mais pas à la hauteur des allégations issues du rapport du WWF. Le gouvernement et les organisations internationales prennent des mesures pour lutter contre le braconnage. Je crois que ces efforts portent des fruits. Nous aurons sous peu une augmentation notable du nombre d’éléphants dans certaines parties du Selous, et d’autres réserves d’ailleurs. »
Le pouvoir judiciaire travaille également de concert avec le gouvernement pour accélérer les procès de braconniers devant les tribunaux. Certaines décisions ont été rendues récemment et les autorités s’appuient sur le cas de deux citoyens chinois qui ont été condamnés à 30 ans de prison chacun assortis d’une amende particulièrement lourde.
Que retenir de cette opposition ?
Pour être allé à plusieurs reprises au Selous et à des époques différentes, je peux assurer que la grande réserve d’Afrique n’est plus ce qu’elle était. Dès lors qu’une ONG pointe de manière factuelle une situation, aussitôt les autorités réagissent et s’inscrivent en faux. Mais la réalité est évidente et il n’y a que le gouvernement tanzanien pour ne pas l’admettre. Quand on connait toutes les sommes qui ont été apportées pour traiter la problématique du braconnage, on comprend aisément que l’on peut reprocher au gouvernement ses résultats catastrophiques.
Mais ce ne sont pas les actions qui doivent être remises en question, mais plutôt les budgets qui ont été alloués et qui n’ont pas été traduits sur le terrain en actions concrètes. Le gouvernement tanzanien n’est certainement pas un modèle d’honnêteté et la corruption fait rage à toutes les strates de l’état.
Tous les éléments figurant dans le rapport du WWF sont plus que factuels. Les données chiffrées s’appuient sur des recensements qui ont été effectués par des instituts officiels et l’essor des industries pétrolière et gazière, la présence de nombreuses mines, le projet d’extraction d’uranium et de barrage ne sont que la réalité. Ce n’est pas pour rien si l’UNESCO réclame des réunions d’urgence afin de statuer sur la situation du Selous.
Le gouvernement tanzanien s’offusque et ne comprend pas l’acharnement du WWF. Comment justifie-t-il alors que, malgré les nombreuses mesures qu’il a prises, l’on soit passé en 40 ans de 110 000 éléphants à 13 000 ?