La mort de deux de nos rangers – Mahamane et Saley abattus par des djihadistes au Niger – est venue rappeler la dure réalité du métier. Depuis l’Europe, difficile d’imaginer les conditions de vie et les nombreux dangers rencontrés par les rangers en patrouille dans la brousse. Nous avons dressé une liste des menaces – létales ou non – auxquelles sont confrontés les rangers dans leur quotidien.
Attaques d’animaux sauvages
Cela peut sembler surprenant du point de vue d’un occidental n’ayant que peu de contacts avec la faune sauvage, mais un éléphant ne fait pas la différence entre un ranger et un braconnier, entre son ange gardien et son bourreau. Certains animaux sauvages associent tout bipède à une menace, d’autres défendent farouchement leur territoire contre tous les intrus.
Dans sa liste actualisée chaque année – mais non exhaustive – des rangers tués au cours de leur travail, la Thin Green Line Foundation répertorie des attaques d’éléphant (15 rangers tués par des éléphants les 12 derniers mois !), de tigre, de requin, de rhinocéros ainsi que des morsures de serpent et d’autres animaux venimeux nombreux en Afrique (serpents, scorpions, scolopendres, etc.). Des animaux comme le buffle et l’hippopotame peuvent également se révéler très agressifs, et donc dangereux.
Wildlife Angel dispense dans son cursus de formation un cours sur les animaux et sur l’éthologie pour apprendre aux rangers à adopter les bons gestes face aux animaux sauvages.
Insectes et parasites
Moustiques porteurs de maladies infectieuses (paludisme et autres joyeusetés), mouche tsé-tsé véhiculant la maladie du sommeil, parasites (vers, tiques) véhiculant eux aussi parfois des pathogènes, le danger ne vient pas seulement des créatures les plus imposantes. Là encore, une bonne connaissance de la nature et posséder l’équipement adéquat s’avèrent indispensable pour limiter les mauvaises rencontres et adopter les bons gestes en cas de besoin.
Maladies
Il n’est pas rare de voir des épidémies sévir localement, que ce soit la méningite, la tuberculose ou ébola. Rappelons que la tuberculose fait partie, selon l’OMS, des dix premières causes de mortalité dans le monde. Au total, la tuberculose a tué 1,4 millions de personnes dans le monde en 2019, plus de 95 % des cas et des victimes vivaient dans des pays en voie de développement. À noter que le paludisme reste un fléau dans les pays tropicaux, et comme pour la tuberculose, les institutions internationales ne semblent pas en faire une priorité.
Accidents
Les accidents de voiture ou de moto tuent chaque année des rangers. Rouler sur les pistes africaines piégeuses demande des aptitudes spécifiques au pilotage en terrain glissant/accidenté, a fortiori lors d’une intervention rapide sur zone avec un pick-up chargé d’une équipe de rangers.
Des morts par noyade ainsi que des rangers combattant les incendies sont aussi régulièrement à déplorer.
Se perdre dans l’immensité de la brousse
L’Europe étant le continent le plus fragmenté au monde par les infrastructures de transport (routes et chemins de fer), on a parfois du mal à imaginer que l’on puisse se perdre et mourir en pleine nature. Les rangers sont pourtant amenés à patrouiller dans des parcs et des réserves couvrant parfois plusieurs millions d’hectares. Par exemple, le parc transfrontalier du W (Niger, Burkina Faso et Bénin) s’étend sur plus de 10 000 km², une superficie bien supérieure à la Corse (8 700 km²). Dans un tel environnement, il est possible de marcher des jours durant sans trouver la moindre trace de la civilisation.
Étant donné que le risque zéro n’existe pas et qu’un ranger peut se perdre, nous avons intégré à nos formations un volet important sur l’orientation et la survie. Contrairement aux idées reçues, la nature n’est pas hostile, elle peut même être généreuse quand on apprend à mieux la connaître, à la « lire » comme diraient nos amis pisteurs traditionnels.
Corruption
En raison des salaires peu attractifs (quand ces derniers sont versés dans les temps), les rangers peuvent céder aux propositions d’argent de la part des réseaux de trafiquants et de braconniers. Lorsqu’un braconnier est capturé, il peut soudoyer les rangers pour échapper aux poursuites. À un autre niveau, les rangers peuvent carrément se transformer en informateur pour livrer des renseignements sur les patrouilles, les zones à forte présence animale, etc.
Une fois qu’un ranger a été corrompu, il met le pied dans un engrenage dont il est très difficile de se sortir, particulièrement en raison des menaces que font planer les trafiquants sur le ranger et sa famille. Nous sensibilisons les rangers à ce danger dans nos formations.
Intimidation
Les rangers qui font leur travail correctement finissent par perturber le trafic de viande de brousse, d’ivoire ou encore de corne de rhinocéros qui enrichissent les réseaux criminels locaux. Le risque est de voir ces réseaux tenter de retourner la population contre les rangers. D’après une enquête menée auprès des rangers de plusieurs pays africains en 2018, près de 41 % d’entre eux disent avoir été insultés ou harcelés par des communautés locales et 43 % ont reçu des menaces durant leur prise de poste. Même en dehors de leur travail, les rangers peuvent devenir une cible.
Agression physique
Toujours d’après l’enquête citée plus haut, plus de 19 % des rangers ont été physiquement agressés durant leur travail par des membres des communautés locales. Attaques à l’arme blanche ou à main armée, les rangers doivent apprendre à se prémunir contre tout type d’agression, c’est pourquoi nous les formons à des techniques d’autodéfense.
L’idéal étant de ne pas susciter la colère des communautés locales. Mais malheureusement nous avons hérité des innombrables erreurs, de l’entêtement idéologique de nos prédécesseurs et nous devons nous adapter à la situation présente.
Tir direct
Des braconniers déterminés, organisés et armés n’hésitent plus à tirer dès qu’il se produit une rencontre avec des rangers. Ces derniers doivent apprendre à se déplacer avec le plus de discrétion possible pour éviter de se faire surprendre par une embuscade en pleine brousse.
Une grande partie de notre travail consiste à leur donner les bons réflexes en cas de situation d’urgence. Il faut que les gestes soient mécaniques, car dans ces moments-là on n’a pas le temps de réfléchir à ce que l’on fait. C’est uniquement avec un entraînement intensif – les fameux « drills » – que l’on imprime dans son cerveau.
Les rangers sont aussi formés aux premiers secours tactiques. Ils apprennent par exemple à placer un garrot tactique, des pansements compressifs, des gestes qui peuvent sauver la vie d’un camarade.
Kidnapping
Dans certaines régions où pullulent les groupes armés, tous les représentants de l’État deviennent une cible potentielle. Dans leur éventail de stratégies pour générer des fonds, certains réseaux criminels se sont spécialisés dans les kidnappings ; le but étant de capturer des otages puis d’exiger une rançon en échange de leur libération.
Pièges
Les braconniers utilisent des pièges divers et variés pour capturer et tuer des animaux sauvages. Cependant, chose moins connue, ils fabriquent de plus en plus des pièges ciblant non pas les animaux, mais les femmes et les hommes chargés de défendre la faune sauvage. Chaque objet suspect laissé dans la brousse doit faire l’objet d’un examen scrupuleux et être approché avec prudence pour éviter de perdre des doigts, ou pire, un membre.
Dans certaines zones de conflit, les rangers peuvent même devenir la cible d’engins explosifs improvisés, les fameux IED notamment employés par les djihadistes au Sahel.
Stress post-traumatique
Sous la pression ou suite à un choc émotionnel important et prolongé, il se peut qu’un être humain « craque » et perde le sens des réalités. Un ranger voyant un de ses collègues – et ami – mourir sous ses yeux peut, suite à cette expérience traumatisante, être animé d’un désir de vengeance et ne plus respecter aucune des règles élémentaires en matière de droits de l’homme lors d’une interpellation. Chaque humain étant différent, il peut s’avérer difficile – voire impossible – de se prémunir contre ce type de menace psychologique. On peut toutefois limiter le risque de « pétage de plombs » en faisant une sélection rigoureuse en amont ainsi qu’en travaillant leur force mentale.