« Nashulai est la toute première conservancy (réserve communautaire) aux mains des Maasaï et gouvernée par les Maasaï. C’est un accomplissement remarquable qui promet d’inspirer un changement positif dans toute l’Afrique de l’Est. »
– John Mbaria, auteur et journaliste kenyan
Nous avons récemment découvert la conservancy de Nashulai à travers un reportage de la BBC diffusé en décembre 2020[i]. Si nous avons choisi de vous parler de ce projet, c’est parce qu’il regroupe des valeurs chères à Wildlife Angel comme l’implication réelle des communautés locales dans la conservation et la préservation de leurs pratiques traditionnelles, la collaboration des autorités ainsi que des moyens certes modestes, mais répartis équitablement et intelligemment. Pourquoi implication « réelle » ? Car jusqu’à aujourd’hui, les réserves dites « communautaires » le sont sur le papier seulement. Dans la pratique, les locaux doivent souvent abandonner leurs terres, ils n’ont pratiquement aucun pouvoir dans la gestion de leur territoire loué pour le tourisme ou la chasse, sans même parler des miettes que leur laissent les exploitants souvent étrangers. Le journaliste d’investigation namibien John Grobler dénonce déjà depuis plusieurs années le greenwashing autour des conservancies namibiennes qui ne « conservent » pas grand-chose[ii]. Un diagnostic confirmé par le conservationniste et ranger sud-africain Christiaan Bakker dans un article du Namibian publié en 2015[iii].
Au Kenya, Nashulai est donc la première conservancy du Maasaï Mara créée, gouvernée et gérée par la communauté Maasaï, plus précisément par Nelson Ole Reiyia et Ric (Olomunyak) Young. Située en bordure du parc national du Massaï Mara et traversée par un couloir de migration, elle s’étend sur une surface légèrement supérieure à 2 000 hectares et fait partie des 15 conservancies entourant le Maasaï Mara ; environ 100 000 personnes dépendent de ces réserves communautaires pour leur subsistance[iv]. La mission s’articule autour de trois objectifs : réduire la pauvreté, conserver la faune sauvage et préserver la culture Maasaï. La particularité de Nashulai est l’accent mis sur la coexistence entre les humains, leur bétail et la faune sauvage, notamment à travers la mise en commun des terres. Une initiative pleine de bon sens étant donné que la diversité culturelle disparaît en même temps que la diversité biologique.
« La diversité culturelle et la diversité biologique se renforcent mutuellement et coïncident presque toujours. »
– Jerome Lewis, anthropologue.
Pour leur travail remarquable, la communauté de Nashulai a été lauréate de l’Equator Prize des Nations Unies récompensant les initiatives combattant la pauvreté à travers la conservation en promouvant un usage soutenable de la biodiversité. Pour ce prix, Nashulai a touché 10 000 USD[v].
« Nous sommes en train d’écrire une nouvelle histoire pleine de possibilités. C’est ce que nous espérons pour Nashulai ; que d’autres se tournent vers Nashulai et voient une histoire non pas sur la tragédie des communs, mais sur la régénération des communs. Une histoire de régénération. Les membres de la communauté de Nashulai sont des gens ordinaires. Mais ils sont les acteurs du récit fondamental de notre époque. Comment réinstaurer une relation soutenable entre les gens et leur terre ? Comment y parvenir de manière à tirer le meilleur de nous plutôt que le pire ? L’enjeu est considérable. Et nous faisons tous partie de ce récit. »
– Ric Young (Olomunyak), cofondateur de Nashulai
Nashulai se distingue profondément du modèle exclusionnaire et colonial qui domine la conservation depuis maintenant plus d’un siècle. Cette doctrine conservationniste s’est construire sur un mythe farfelu – humains et nature ne pourraient coexister de façon mutuellement bénéfique – invalidé depuis son origine par les faits[vi]. En conséquence, les peuples autochtones occupant des zones riches en biodiversité, des endroits sélectionnés par les grandes ONG de la conservation pour la création d’aires protégées, ont presque systématiquement été chassés de leurs territoires ancestraux. Pour ces populations dont le mode de vie et la culture dépendent entièrement de la terre, il s’en suit très souvent une descente aux enfers dans l’extrême pauvreté, la famine, la drogue, l’alcool et les maladies.
Les Massaï partagent les prairies du Maasaï Mara avec la faune sauvage depuis des siècles, probablement des millénaires, et Nashulai cherche à restaurer cet équilibre ancestral perdu.
Enfant, Nelson Ole Reiyia faisait paître le bétail dans les prairies ouvertes aux abords de la réserve, et il a constaté que les terres Maasaï étaient peu à peu vendues à des exploitants touristiques extérieurs à la communauté. Premier garçon de son village à avoir été jusqu’à l’université pour étudier le tourisme et l’hôtellerie, il est ensuite retourné à Nashulai afin de préserver ses terres et son identité.
« Pour les Massaïs, notre terre est un élément très important de notre mode de vie et de notre culture, mais en grandissant dans le Mara, j’ai vu la communauté vendre ses terres à des étrangers en raison de la pauvreté. Bientôt, nous n’aurons plus de terres. […] Nous voulions une conservation qui soit détenue et gérée à 100 % par la population, plutôt que par des opérateurs de safaris étrangers qui ont fait fuir les gens après les avoir rachetés. Si nous continuons ainsi, où iront les Massaïs ? »
En 2020, la conservancy employait 100 personnes en tant que rangers, personnels travaillant dans les lodges, guides touristiques, et fournissait un revenu aux Maasaï propriétaires en commun des terres qui. Environ 2 000 personnes bénéficient de ces revenus.
« C’est la terre où sont enterrés les ossements de nos ancêtres. C’est la terre où nous avons vécu, où nous avons aimé, pendant des siècles. C’est NOTRE maison et la maison de nos enfants. Le modèle de Nashulai repose sur un profond engagement humain pour faire en sorte que cela fonctionne. Il existe également un savoir traditionnel fondamental afin qu’il fonctionne. Nous, les Massaïs, avons vécu sur ces terres, fait paître nos troupeaux, raconté nos histoires, élevé nos enfants et vécu en équilibre avec les autres « citoyens naturels » de cet écosystème extraordinaire. Nous connaissons cette terre, nous connaissons son rythme et ses réalités. Nous aimons cette terre. Nous en sommes les gardiens légitimes[vii]. »
En à peine trois ans, les premières actions de conservation mises en place ont déjà porté leurs fruits :
« Nous avons abandonné nos parcelles de terre clôturées de l’époque coloniale, retiré les clôtures pour rouvrir l’ancien couloir de migration. Nous sommes revenus à notre calendrier traditionnel de pâturage saisonnier et rotationnel. En remplaçant les grands troupeaux par de petits, nous avons sélectionné une race bovine indigène et robuste pour restaurer les prairies et réduire les conflits entre l’homme et la faune. Et nous l’avons fait collectivement en tant que communauté, sur les conseils de notre respectable Comité des Anciens. Tout cela a été réalisé en seulement 3 ans. Nous sommes un laboratoire vivant pour tester de nouvelles idées. Nous nous considérons comme l’épicentre d’une transformation qui va bien au-delà de nos propres frontières. Nous sommes une source d’inspiration, de formation et d’influence pour les autres. Nous voulons être une source d’inspiration pour d’autres terres Maasaï et au-delà. »
En contradiction avec plusieurs siècles de tradition Maasaï, la communauté de Nashulai a mis fin à la l’abattage des prédateurs en représailles aux attaques sur leur bétail. Preuve que même une culture traditionnelle est capable d’évoluer quand l’initiative vient de la base et fait l’objet d’un processus décisionnaire démocratique.
Comme de nombreuses autres réserves africaines bien trop dépendantes des revenus du tourisme pour couvrir les coûts de fonctionnement (le coût de la lutte anti-braconnage est particulièrement élevé), le Covid-19 a sapé une bonne partie des revenus de la conservancy de Nashulai. Mais, comme nous l’apprend un article de la fondation Thomson Reuters[viii], Nelson Ole Reiyia a profité de la pandémie pour développer d’autres moyens de subsistance afin de favoriser la résilience du modèle Nashulai :
« La conservancy a décidé de former les villageois à l’apiculture, à la culture de légumes pour leur propre consommation ou pour les vendre aux voisins, a enseigné aux femmes la fabrication de savons et de désinfectants pour les mains destinés à la communauté et des serviettes hygiéniques à vendre sur le marché local. »
Nelson a même trouvé le moyen de démarrer un nouveau projet de conservation durant la pandémie : la restauration de la rivière Sekenani dont dépendent le bétail, la faune sauvage et les communautés riveraines. Le surpâturage, la récolte illégale de bois et de sable* ont provoqué une érosion accélérée des sols et réduit le niveau d’eau. Pour remédier à cela, les membres de la communauté ont planté des arbres sur les berges de la rivière et retirer plusieurs tonnes de plastiques et de déchets en tous genres.
Bien loin de la paranoïa générale plongeant les gens dans l’apathie et l’impuissance, Nelson est au contraire proactif et souhaite transformer la pandémie en opportunité pour les siens :
« La pandémie a rendu la vie difficile à la communauté, mais nous voyons aussi que les gens sont plus disposés à essayer d’autres choses pour gagner un peu d’argent supplémentaire et améliorer leur vie. […] Parfois, de bonnes choses peuvent émerger d’événements négatifs et je crois que nous devons profiter de cette période pour rendre nos communautés plus fortes. »
[*Sable et gravier sont parmi les ressources naturelles les plus consommées au monde. Selon l’ONU, leur demande s’élève entre 40 et 50 milliards de tonnes par an. Il faut par exemple 200 tonnes de sable pour construire une maison de taille moyenne, 3 000 tonnes pour un hôpital, 30 000 pour un kilomètre d’autoroute, ou encore 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire. Pour répondre à la demande croissante, des « mafias du sable » se ruent sur les gisements partout dans le monde[ix].]
Les accomplissements en termes de conservation pour la faune sauvage cités sur le site de Nashulai :
- Embauche d’un responsable de la lutte anti-braconnage, équipement et formation de 19 rangers recrutés au sein de la communauté pour lutter contre le braconnage, prévenir les conflits homme-faune, veiller à l’intégrité du milieu, mener des études sur la faune et les oiseaux (quatre rangers sont d’anciens braconniers) ;
- Retrait des 25 km de clôtures qui fragmentaient la zone et empêchaient le déplacement de la faune sauvage ;
- Nashulai est devenue la preuve vivante des avantages de notre approche mixte pour l’écosystème : la réhabilitation de nos prairies a été rapide et le retour de la faune sauvage plutôt extraordinaire ;
- À la suite d’une visite à Nashulai, le journaliste John Mbaria, spécialiste de la conservation, a écrit : « …j’ai été étonné par le nombre d’animaux sauvages à Nashulai ! … [Alors que] nous avons vu très peu d’animaux dans la parc national de Mara, ils ont en revanche choisi de faire de Nashulai leur foyer. Il y avait beaucoup d’élands, de topis, de gazelles de Thompson, de gnous, de zèbres, un grand nombre de girafes et d’éléphants… »
- Inspirées par l’exemple de Nashulai, deux autres conservancies – Pardamat et Isaaten – ont été créées suivant le même modèle de conservation mixte (culture et nature) ;
- Rapide régénération des pâturages et retour en masse de la faune sauvage ;
- Les populations de girafes, gnous, zèbres, phacochères et gazelles sont en hausse, des troupeaux d’éléphants traversent la réserve au moins une fois par semaine et une troupe lions s’est établie à Nashulai ;
- Des troupeaux d’éléphants d’en moyenne 20 individus traversent et s’arrêtent régulièrement à Nashulai ;
- 10 guépards ont établi une partie de leur territoire à Nashulai et 3 lycaons y ont été aperçus (une espèce qui devient très rare en dehors de l’Afrique australe) ;
- Nashulai abrite la plus grande population de la sous-espèce menacée de girafe Maasaï dans le Mara oriental ;
- Plus de 50 naissances d’éléphants répertoriées les deux dernières années.
Et les bénéfices pour la communauté cités :
- Signature de contrats de bail spéciaux de 10 ans renouvelables avec chaque famille propriétaire – un nouveau modèle d’accord de conservation qui ne déplace pas les membres de la communauté mais leur permet plutôt de rester sur leurs terres en tant que bénéficiaires et gardiens des communs ;
- Création d’un Conseil de Gouvernance des Anciens qui a élaboré un ensemble de règlements – avec le plein accord des membres – pour régir l’utilisation partagée des terres entre les personnes, le bétail et la faune ; engagement de toute la communauté dans une conversion aux méthodes de pâturage par rotation ;
- Enregistrement officiel de la Nashulai Maasai Conservancy en tant qu’organisation communautaire à but non lucratif (CBO) auprès du gouvernement kenyan, le 14 juillet 2016 ;
- Création de l’Institut de formation culturelle Nashulai (officiellement accrédité par le gouvernement kenyan en 2019) qui accueille et donne aux jeunes de toute l’Afrique de l’Est les moyens d’étudier la gestion de la conservation, les techniques d’orientation et le développement communautaire basés sur la culture Maasaï, le tout combiné à une formation scientifique et technologique de pointe ;
- 50 jeunes Massaïs sont actuellement inscrits à l’Institut de formation culturelle de Nashulai et nous aurons notre deuxième diplôme plus tard cette année.
- Développement du groupe « Famille, genre et éducation » de Nashulai (3 employés à plein temps plus un réseau de bénévoles locaux) afin de générer des opportunités pour tous les enfants de Nashulai, notamment par des initiatives visant à réduire la mortalité infantile, à éliminer la circoncision féminine et le mariage précoce, à créer l’égalité des chances en matière d’accès à l’éducation, à renforcer les capacités et le leadership des jeunes locaux ;
- Deux nouvelles écoles construites à Nashulai engagées à atteindre des normes et des pratiques éducatives comparables aux meilleures écoles du Kenya ;
- Nous avons travaillé avec des femmes, des jeunes filles et des personnes âgées dans toute notre communauté pour recueillir leurs histoires et les transformer en un drame sur les droits de l’homme, l’égalité des sexes et la fin de l’excision – il a été joué dans 22 écoles, diffusé à la radio et touché 1,5 million de personnes sur tout le territoire massaï ;
- Nous nous sommes réunis en tant que communauté pour créer notre propre fonds commun – alimenté par les contributions mensuelles de chaque famille locataire – afin de financer l’éducation des enfants de Nashulai au lycée et à l’université. À ce jour, 62 garçons et filles de Nashulai ont profité des bourses du fonds pour fréquenter l’école secondaire et l’université ;
- À ce jour, 60 % des membres de Nashulai ont demandé avec succès des prêts grâce à la stabilité financière créée par notre conservatoire ;
- Création de moyens de subsistance liés aux initiatives de Nashulai pour plus de 50 membres de la communauté, fournissant ainsi un revenu régulier qui permet de subvenir aux besoins d’une vingtaine de familles en moyenne – avec nos loyers, c’est un autre grand pas pour briser l’emprise de la pauvreté ;
- Nous avons développé notre initiative « Grazing for Change » (pâturer pour le changement) pour convertir nos troupeaux de bovins en introduisant une race indigène (Boran) plus résistante à la sécheresse, plus imposante et de plus grande valeur – c’est la base d’une entreprise d’élevage durable à Nashulai permettant une viabilité économique avec beaucoup moins de bétail et des pratiques de gestion des prairies régénératives plus efficaces ;
- Obtention de fonds pour commencer la construction du « Netii Apa » | The Stories Cafe™ qui sera le centre culturel et le centre de connaissances de Nashulai – où la communauté se réunira, où la sagesse traditionnelle des anciens se conjuguera avec la science de pointe en matière de conservation, où la prochaine génération pourra s’engager très tôt dans notre culture visant à prendre soin du lieu.
- Création de Nashulai Maasai Safaris et de son camp privé équipé de tentes, Wageni, à la fois comme une entreprise de soutien à la réserve et comme une opportunité d’accueillir un nombre restreint de visiteurs pour une expérience approfondie de notre monde ;
- Lancement d’un programme d’eau potable pour acheminer l’eau de source à tous les villages de Nashulai. Trois mille Maasaï à l’intérieur et à l’extérieur de Nashulai ont maintenant accès à de l’eau propre et les villages disposent à la fois d’eau et de latrines. Cela a entraîné de profonds avantages pour la santé de la communauté, notamment une réduction de 50 % des maladies liées à l’eau insalubre.
« Le plus grand défi auquel est confrontée la faune sauvage aujourd’hui au Kenya est le manque d’espace. »
– Nelson Ole Reiyia, cofondateur de Nashulai
En effet, l’installation des occidentaux au XIXe siècle a bouleversé les équilibres écologiques et culturels de la région. La peste bovine rapportée d’Asie par des navigateurs italiens débarqués sur la corne de l’Afrique a décimé le bétail dans tout l’est du continent. Les grandes cultures pastorales ont été anéanties, les populations touchées par la famine mourraient en masse du choléra, de la variole et de la typhoïde. Les chercheurs ont du mal à estimer l’ampleur de la catastrophe écologique et humanitaire. Entre 1888 et 1892, environ un tiers de la population éthiopienne aurait péri, soit plusieurs millions de personnes. Pour plus de détails sur cet événement historique, lisez cet article publié par le journaliste Fred Pearce dans la revue Yale Environment et que nous avons traduit.
Nashulai partait donc de loin.
« Notre culture est pleinement liée à la diversité de notre terre. Toutes nos chansons et histoires traditionnelles parlent de nos animaux. Au fil des siècles, nous avons appris de nombreuses leçons en les observant, que nos aînés ont transmises aux générations futures jusqu’à aujourd’hui.
Pendant des siècles, les Maasaï ont vécu de manière durable avec d’autres espèces, en pratiquant la rotation des pâturages sur les terres communales, en respectant à la fois celles-ci et la faune avec laquelle ils vivaient dans une harmonie soigneusement entretenue. Nos aînés parlent de l’époque où nous élevions nos troupeaux aux côtés des grands animaux qui se déplaçaient librement, et de l’époque où les troupeaux d’éléphants venaient ici pour mettre bas. Cet équilibre a été complètement bouleversé par les changements rapides de ces 100 dernières années.
Les pratiques coloniales d’utilisation des terres ont d’abord déplacé des familles entières, et plus tard subdivisé les terres communales ; des clôtures ont sillonné les plaines, et la faune a commencé à disparaître à mesure que les couloirs de migration étaient clôturés. Les animaux et leurs anciennes routes de migration ne suivent pas les frontières créées par l’homme, et si une grande partie de l’écosystème était « protégée » dans les parcs nationaux du Maasai Mara et du Serengeti, une part importante est restée sans protection, et donc très vulnérable aux assauts des braconniers. Les cours d’eau et les rivières, pollués et déboisés, sont devenus impropres à la consommation. Au cours des quanrante dernières années, la population humaine a été multipliée par quatre dans tout le Kenya, tandis que la population d’animaux sauvages a diminué de 75 %.
En 2015, nos terres autrefois libres avaient décliné en un ensemble de petites parcelles clôturées qui pouvaient à peine faire vivre notre peuple. L’importante zone de 2 000 hectares qui forme aujourd’hui Nashulai, longtemps reconnue par les scientifiques comme « un corridor essentiel pour la faune », pour les éléphants et pour la Grande Migration, avait été fermée.
Et surtout, les Maasaï avaient perdu leur lien avec la sagesse de la terre, avec la sagesse du lieu. De plus en plus séparés de leurs traditions ou d’un mode de vie qui pouvait leur apporter à la fois fierté et avantage, ils s’enfonçaient dans une pauvreté stérile ou quittaient la terre pour la ville. Nous savions que sans l’implication de la communauté, il ne pouvait y avoir de régénération.
Nous savions que nous devions sauver cette terre pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures.
Lorsque nos aînés se sont réunis pour fonder Nashulai en 2016, il n’y avait pratiquement pas d’animaux sauvages, même par rapport à ce dont nous nous souvenions dans notre enfance. Inspirés par les cofondateurs de Nashulai, Nelson Ole Reiyia et Ric (Olomunyak) Young, les anciens et les dirigeants des communautés de toute la région se sont réunis dans notre enkiguena, notre réunion communautaire traditionnelle prenant la forme d’un cercle, afin de faire avancer la discussion. Il a été décidé de démanteler les 25 km de clôtures sur notre territoire et de le transformer en une communauté gérée par tous dans l’intérêt des uns et des autres, de la faune et de l’écosystème tout entier. Nos résidents reviendraient à nos schémas traditionnels de pâturage par rotation qui (soutenus par la science moderne) permettraient une gestion durable des prairies. Et en rupture avec des siècles de tradition Maasaï, nous avons mis fin aux représailles à l’encontre des prédateurs qui s’attaquaient à notre bétail, encourageant ainsi le respect mutuel entre nos espèces. »
Nous souhaitons le meilleur aux membres de la communauté de Nashulai. Ils sont un exemple pour nous tous et peut-être une source d’inspiration pour sortir du modèle de développement dominant reposant sur l’extractivisme, sur le pillage perpétuel de la nature.
[i] https://www.bbc.com/news/av/world-africa-55477272
[ii] https://news.mongabay.com/2019/02/it-pays-but-does-it-stay-hunting-in-namibias-community-conservation-system/
[iii] https://www.namibian.com.na/index.php?id=134899&page=archive-read
[iv] https://news.trust.org/item/20200812124419-2yxt9/
[v] https://www.the-star.co.ke/counties/rift-valley/2020-10-01-maasai-maras-nashulai-conservancy-ranked-among-the-best-in-the-world/
[vi] Lire Conservation Refugees, Mark Dowie, MIT Press, 2011.
[vii] https://www.nashulai.com/model
[viii] https://news.trust.org/item/20200812124419-2yxt9/
[ix] https://www.lesechos.fr/2016/02/la-guerre-mondiale-du-sable-est-declaree-1110253