Lorsque je me suis intéressé aux primates, il y a quelques années, j’ai été frappé d’apprendre que les personnes qui s’étaient les plus investies, les plus impliquées dans l’étude des grands singes, au risque d’y perdre leur vie, étaient des femmes :
La californienne Dian Fossey a épousé la cause des gorilles des montagnes des Virunga qu’elle a étudiés toute sa vie pour mourir à leurs côtés ;
L’anglaise Jane Goodall a découvert les chimpanzés en Tanzanie et les a suivis pendant des décennies pour mieux comprendre leur comportement et analyser leurs liens avec l’être humain ;
La canadienne Biruté Galdikas a passé de nombreuses années en immersion dans la jungle de Bornéo pour étudier les populations d’orang-outans et a dédié sa vie à leur protection.
Plus récemment, lors d’un de mes séjours en Afrique australe, j’entendais à nouveau parler d’une femme, encore, qui avait pris fait et cause pour une espèce de chimpanzé, endémique de la République Démocratique du Congo, le bonobo.
Un peu d’histoire sur le Bonobo …
J’ai commencé à étudier ce primate. Contrairement à ce qui a été publié au début du siècle dernier, il ne s’agit pas d’une sous-espèce de chimpanzé, que l’on qualifiait à l’époque de Pygmée. Il s’agit bel et bien d’une espèce à part entière qui se différencie du spécimen chimpanzé, à première vue, par sa taille et la couleur de sa face plus foncée.
Les espèces chimpanzé et bonobo sont génétiquement très proches l’une de l’autre, même si les experts soulignent une différence de mœurs et de comportement. Historiquement, le fleuve Congo aurait séparé ces deux espèces et les aurait maintenues à distance d’une rive à l’autre. Le bonobo possède 98,7% de son ADN en commun avec l’être humain. Les divergences observées entre les trois génomes (homme, chimpanzé et bonobo) vont également permettre aux chercheurs de mieux comprendre notre histoire évolutive.
Selon le généticien David Reich, les premiers ancêtres de l’Homme auraient pu côtoyer les ancêtres du bonobo, voire même se reproduire avec eux pour engendrer des espèces hybrides, reproductions rendues possibles par la similarité du chromosome X. Tout cela se passait il y a plus de quatre à cinq millions d’années. Au-delà de ces études destinées à découvrir ce que l’on a appelé pendant des décennies, le « chaînon manquant », l’avenir de cette espèce, qui a peut-être été plus que notre cousin, est assez préoccupant.
Un futur préoccupant pour les bonobos
Le bonobo, qui figure dans la liste rouge de l’UICN des espèces menacées, est classé dans la catégorie en danger. L’espèce est menacée de disparition à faible échéance à cause de trois facteurs, dont le principal est le braconnage dont il est victime. Bien qu’il existe de nombreux tabous auprès des populations locales qui dissuadent la consommation de viande de bonobo, l’espèce souffre d’un intense trafic. Les braconniers viennent en général d’autres régions et ne sont pas sensibles à ces tabous locaux. Ils profitent de la corruption flagrante en RDC et s’appuient sur les autorités administratives et militaires locales pour commettre leurs méfaits.
La deuxième menace qui pèse lourdement sur l’avenir des bonobos est bien la déforestation et la perte de l’habitat naturel. La pression anthropique est de plus en plus forte autour des rivières et fleuves qui sillonnent les régions dans lesquelles les bonobos survivent. Depuis que les guerres civiles qui ont ensanglanté le pays se sont stabilisées, on pourrait se réjouir de la diminution de l’abattage des bonobos pour la viande. Malgré tout, la paix entraîne la volonté d’expansion, et la construction de routes, les nombreuses plantations fragmentent l’habitat forestier des bonobos.
Et pour finir ce triste panorama des causes, il ne faut pas oublier les risques d’agents pathogènes provenant de l’homme à cause de la proximité des populations villageoises et de la pression touristique. Les maladies respiratoires humaines peuvent être un danger pour les populations de bonobos.
Comme dans de nombreux pays africains, et c’est très vrai en particulier sur l’île de Madagascar avec les populations de lémuriens, la survie des bonobos est assurément due aux actions des ONG sur place.
Une lueur d’espoir avec Lola Ya Bonobo
Claudine André a énormément œuvré pour défendre l’espèce. De son action d’éclat au zoo de Kinshasa en 1993, au cours de laquelle elle a sauvé un jeune bonobo abandonné, à la création et la gestion efficace de son ONG Lola Ya Bonobo, elle n’a eu de cesse de s’investir pleinement dans la protection de l’espèce. A l’instar du trio constitué de ses aînées, Fossey, Goodall et Galdikas, elle est aujourd’hui la représentante des bonobos aux yeux de l’opinion internationale.
Dans son sanctuaire au sud de Kinshasa, Claudine André récupère de nombreux jeunes bonobos, abandonnés en forêt ou saisis par les autorités auprès de particuliers. Des femmes congolaises, appelées mamans de substitution, sont chargées de s’occuper des jeunes primates pour les amener à l’âge adulte et les préparer à la grande aventure. En effet, tout le travail entrepris par l’équipe de Lola Ya Bonobo a pour objectif de mettre les bonobos en condition de pouvoir être relâchés en forêt primaire. Il existe un lieu, appelé Ekolo, à plusieurs centaines de kilomètres de Kinshasa, dans la région de l’Equateur, où les bonobos sont relâchés. S’agissant d’une forêt classée et protégée, les deux menaces pesant sur la sécurité des bonobos, à savoir le braconnage pour la viande et la perte de l’habitat, sont très limitées.
Dans le cadre des accords inter-ONG, une équipe de Wildlife Angel a formé des gardes forestiers sur la zone de relâché des bonobos en République Démocratique du Congo. L’objectif était de faire monter en compétence les rangers locaux de manière à préserver cette forêt et faire en sorte que les bonobos puissent vivre leur vie loin de toute pression anthropique. D’autres actions entre les 2 ONG sont prévues pour l’année prochaine.