Il y a quelques semaines, les gouvernements de Namibie et du Zimbabwe ont émis le souhait de sortir de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES) qui leur interdit de vendre l’ivoire d’éléphant.
Selon eux, cette interdiction établie par la Convention Internationale en 1989 a été une expérience extrêmement coûteuse qui n’a donné absolument aucun résultat. Ils s’appuient entre autre sur l’explosion vertigineuse du braconnage criminel en Afrique qui a eu pour conséquence de perdre une grande partie de la population de pachydermes. Les autorités de ces deux pays veulent donc essayer de « sortir du piège de la Convention » pour libérer leurs stocks d’ivoire afin de le vendre sur le marché mondial et donc d’en tirer des bénéfices conséquents.
Comprendre la situation
La CITES a classé il y a de nombreuses années l’éléphant africain en Annexe I, ce qui signifie qu’il y a une interdiction pour les 182 pays adhérents à la Convention de vendre tout ou partie d’un éléphant (défenses en ivoire, pieds, poils de queue, …). Or, en 2007 , quatre pays africains ont obtenu une dérogation en obtenant le transfert de classement de l’éléphant en Annexe II ; ce sont l’Afrique du sud, le Botswana, la Namibie et le Zimbabwe. Le fait d’inscrire l’éléphant en Annexe II leur a permis un commerce limité à des conditions particulières, qui leur empêche malgré tout de libérer leurs stocks d’ivoire.
Namibie et Zimbabwe soulignent l’exemplarité de leur comportement vis-à-vis de la protection des éléphants en s’appuyant sur le fait que les populations de l’espèce ont augmenté chez eux.
Ils partent du principe, à l’inverse de ce que soutenait le président kenyan Kenyatta il y a quelques semaines, que libérer le marché de l’ivoire est la seule solution pour endiguer l’épidémie de braconnage actuelle. Ils rejoignent en ce sens le discours de certains lobbies en Afrique du sud qui militent également pour la libéralisation de la vente de cornes de rhinocéros.
« Si on libère tous les stocks détenus officiellement par les autorités namibiennes et zimbabwéennes, une arrivée aussi massive d’ivoire sur les marchés aura pour conséquence mécanique, en satisfaisant la demande existante, de faire chuter le prix du marché, donc de diminuer fortement la valeur attachée au produit et de limiter les actions de braconnage. De plus, en récoltant des fonds importants, nous [les gouvernements de Namibie et du Zimbabwe] pourrions injecter une partie de ces sommes dans les actions de protection et de conservation de la faune sauvage.
Les deux ventes ponctuelles organisées en 1999 et 2008 ont échoué précisément parce que de trop petits volumes ont été vendus sur le marché. Cela a créé un sentiment artificiel de rareté de l’offre, ce qui a fait grimper les prix et alimenté le braconnage. »
Parallèlement, le gouvernement chinois a annoncé le mois dernier son intention de fermer définitivement son marché intérieur au commerce de l’ivoire. C’était en effet là que résidait le problème principal. La CITES avait beau interdire le commerce de l’ivoire sur le plan international, les organisations criminelles qui arrivaient à sortir l’ivoire d’Afrique pour l’introduire sur le sol chinois, pouvaient ensuite organiser librement les échanges sur le territoire national, la marchandise étant « blanchie ». La Chine a donc décidé d’interdire le commerce national et également la transformation de l’ivoire.
Les Etats-Unis ont pris eux aussi des décisions radicales quant au commerce de l’ivoire sur le sol américain. L’administration Obama a fait savoir le 2 juin 2016 que le gouvernement allait prendre des mesures draconiennes en faveur d’une interdiction quasi-totale du commerce de l’ivoire, en espérant que les autres nations allaient elles aussi agir rapidement et de manière décisive. L’interdiction sera quasi-totale, entendez par là qu’elle ne concernera pas certains produits comme les antiquités, les instruments de musique ou les armes ayant moins de 200 grammes d’ivoire et les trophées ramenés par les chasseurs, mais limités en nombre à présent.
Que faut-il en penser ?
D’un côté, deux gouvernements africains qui prônent la vente de leurs stocks d’ivoire pour faire chuter le prix du marché et ainsi diminuer l’attractivité de l’ivoire pour les organisations criminelles.
De l’autre, des pays africains, qu’ils soient d’Afrique australe mais surtout représentants toutes les autres grandes régions d’Afrique (occidentale, orientale, centrale), qui sont contre ce déstockage massif.
Premièrement, il n’est pas certain que la vente de ces stocks d’ivoire ne fasse baisser le prix du marché. Cela est avancé comme étant un argument mais cela n’a jamais été démontré, chaque fois que des ventes massives autorisées ont été réalisées.
Deuxièmement, il y a plusieurs amendements qui ont été déposés pour la prochaine COP de la CITES en septembre en Afrique du sud et qui demandent le reclassement de l’éléphant en Annexe I pour les quatre pays bénéficiant du traitement de faveur.
Troisièmement, si la Chine et les Etats-Unis ferment leur marché intérieur, quelle est la cohérence si parallèlement la Namibie et le Zimbabwe vendent massivement leurs stocks aux enchères, les enjeux de la spéculation sur l’ivoire risquant d’être particulièrement forts ?
Il est évident que, si les deux pays sortaient de la CITES et décidaient de vendre leur ivoire, cette action déstabiliserait complètement le marché mondial de l’ivoire et les organisations criminelles trouveraient un intérêt à acheter à bas prix cet ivoire et à le stocker. En accentuant par la suite leurs exactions sur les éléphants vivants restant, l’ivoire deviendrait alors une « denrée » rarissime et elles pourraient écouler leurs stocks à des prix particulièrement élevés. N’oublions pas que ces groupes mafieux sont autant des financiers que des criminels.