En 2016, lors d’une invitation au 28 minutes d’ARTE, Elisabeth Quin me questionnait sur les relations existantes entre l’extermination de la faune africaine et les groupes terroristes. Certains articles de la presse titraient à l’époque sur le financement du terrorisme par le braconnage des éléphants et rhinocéros. Comme bien souvent, des raccourcis opérés par de prétendus experts peuvent ajouter un certain sensationnalisme à cette thématique.
En fait, il faut bien comprendre que chaque groupe terroriste use de stratégies différentes en fonction du contexte. D’après mon expérience, on peut classer les groupes terroristes, en croisant leurs relations avec le trafic d’animaux sauvages, suivant trois types :
1. Tout d’abord, les « dealers », ceux qui ont besoin d’armement et qui sont dans des zones où la faune sauvage à forte valeur ajoutée (souvenons-nous qu’un kilo de corne de rhinocéros peut se négocier jusqu’à 60 000 USD le kilo) est très présente : les Janjaweeds du Soudan, comme les membres de la LRA d’Ouganda, se sont spécialisés dans le commerce de l’ivoire pour s’équiper en armes ;
2. Les « non concernés », ceux qui ne trempent pas délibérément dans ce trafic car ils ont trouvé des moyens plus adaptés afin de financer les exactions (charbon de bois, piraterie maritime pour les Shebabs de Somalie ou trafic de bétail et kidnappings pour Boko Haram au Nigéria) ;
3. Enfin, les « opportunistes », particulièrement dans la zone sahélienne au Mali, Burkina Faso et Niger, qui ont compris que les parcs nationaux et autres réserves de faune sauvage constituaient des zones à fort couvert végétal, avec peu de présence humaine. Pris pour cible par les groupuscules djihadistes car représentant l’autorité étatique, les rangers ne peuvent faire face aux mitrailleuses lourdes et autres IED. Ils ont été contraints de quitter les parcs. Cet abandon permet aux terroristes d’offrir à la population locale un libre accès au braconnage de viande de brousse qui profitait autrefois aux classes aisées. Les terroristes s’assurent ainsi la collaboration intéressée des villageois, souvent pauvres.
Nos interventions en 2017 au Burkina Faso et au Niger nous ont permis de tirer un signal d’alarme à l’intention des gouvernements. On pensait que certains groupuscules allaient pouvoir se réfugier dans les parcs pour en faire des bases arrière. Mais pas à ce point …
Pendant nos missions en 2018, nous avons assisté à la montée en puissance de la Terreur sur les sites où nous étions, et l’été 2019 a donné un coup d’arrêt net à notre présence au Niger et au Burkina Faso.
En 2017 également, nous avions lancé l’alerte suite à nos missions en Namibie et en République Démocratique du Congo, cette fois non plus envers les réseaux terroristes, mais sur le commerce d’espèces sauvages (animaux, coquillages, bois précieux, etc) organisé par les mafias asiatiques dans le but d’alimenter le marché de la pharmacopée traditionnelle et de fournir les privilégiés en produits rares.
Concrètement, Wildlife Angel se présente comme le dernier rempart de la vie sauvage, le bouclier au-delà duquel les criminels n’ont plus libre accès. Nous sommes, depuis notre création, sur le terrain, aux côtés des rangers et des populations locales pour lutter contre l’extermination des espèces africaines. Nous ne pouvions pas, à l’époque, travailler sur le marché amont, c’est-à-dire sur la demande en provenance des pays consommateurs des animaux sauvages exotiques. Lors de conférences, je sentais bien nos amis français, belges, espagnols, allemands, sourire quand je leur parlais des actions nécessaires pour freiner et stopper ce commerce dangereux. J’avais beau leur dire que le pangolin, le singe, la chauve-souris, le serpent, la civette, certains vers et la viande de brousse de manière plus générale, peuvent être dangereux si on les consomme. Les San du Botswana ou les Pygmées d’Afrique centrale ne mangent pas n’importe quel animal. Leur objectif étant de s’alimenter sainement et sans excès, et non pas de satisfaire à des croyances issues d’âges révolus diffusées dans la population par des opportunistes en quête de profit. Il est également avéré que la déforestation joue un rôle dans l’éruption d’épidémies, d’où l’importance de préserver l’intégrité de l’ensemble du biotope et pas seulement les espèces emblématiques.
Mais mon discours ne semblait pas concerner les européens que je m’efforçais de convaincre, comme c’est souvent le cas lorsqu’on dénonce un événement qui se déroule à des milliers de kilomètres d’un lieu de vie. Et au début de l’activité naissante de Wildlife Angel, il ne nous était pas possible de combattre, à la fois sur le front de la demande en Asie, et sur l’offre en Afrique. Nous avons donc fait le choix de capitaliser sur notre expérience du terrain et des biotopes d’Afrique.
Aujourd’hui, le monde entier est confronté à une pandémie extrêmement grave. Tout sera certainement fait pour relancer la machine économique et la vie reprendra son chemin, mais rien ne doit plus être comme avant ! Cette épidémie doit sonner comme une alerte et déclencher une prise de conscience générale.
Je ne veux pas dire dans mon discours que la consommation de pangolin est à l’origine du COVID19. On n’a ni le recul ni le savoir pour l’affirmer ou l’infirmer avec certitude aujourd’hui.
En revanche, il est essentiel de relever les constats suivants :
- Jamais la planète n’a eu autant de représentants d’une seule et même espèce (Homo Sapiens) ; ce qui est un danger pour la stabilité des écosystèmes planétaires ;
- Avec l’expansion urbaine, les individus de cette espèce sont concentrés dans des espaces de plus en plus réduits, favorisant ainsi l’échange accéléré de virus et bactéries ;
- Le cataclysme climatique va provoquer la fonte du pergélisol et libérer des virus « endormis » depuis la nuit des temps ;
- Depuis plusieurs milliers d’années, durée insignifiante à l’échelle de la planète, nous sommes confrontés à un rapprochement évident entre les hommes et les animaux d’élevage, porteurs de virus transmissibles à l’homme ;
- L’extermination d’espèces sauvages porteuses de virus va pousser ces derniers à rechercher de nouveaux hôtes, qui pourront être des animaux domestiques ou des humains.
Je vous demande donc humblement de réfléchir à mes propos et de ne surtout plus vous dire que ce qu’il se passe dans ces forêts reculées du Congo, dans les savanes tanzaniennes ou les déserts namibiens ne vous concerne pas.
La mondialisation a concrétisé l’effet papillon. Désormais, en raison de la dimension du commerce mondial d’espèces sauvages, un agent infectieux mortel peut se propager sur plusieurs continents et mener à un confinement intégral des dizaines de millions de personnes en France et à travers le monde.
Aidez-nous ! Notre combat doit être désormais votre combat ! Partagez ce texte en masse. Il en va de la survie des générations futures.
Sergio Lopez
Fondateur, Wildlife Angel