Un rapport de l’ONG Environmental Investigation Agency (EIA) publié en décembre 2020 estime que l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest sont le nouvel épicentre du trafic d’ivoire d’éléphant et d’écailles de pangolin. Entre 1998 et 2014, la Tanzanie et le Kenya étaient les deux pays les plus actifs dans le trafic d’ivoire, aujourd’hui ce sont le Nigéria, la République Démocratique du Congo et le Cameroun. Précisons que le Nigéria est aussi la première économie du continent, devant l’Afrique du Sud. Toutes les images de cet article sont tirées du rapport de l’EIA.
L’EIA a établi ce classement des pays trafiquants en « incluant les pays qui ont saisi de l’ivoire et des écailles de pangolin, les pays d’où ont été exportées ces marchandises plus tard saisies dans un pays intermédiaire ou consommateur, et les pays avec des ressortissants liés aux saisies. » Entre 1998 et 2014, le Nigéria était impliqué dans le commerce illégal d’un peu plus de 19 tonnes d’ivoire et 330 kg d’écailles de pangolin. Entre 2015 et 2019, ces chiffres s’élevaient respectivement à 30 tonnes et 167 tonnes, ce qui correspond à environ 4 400 éléphants et 167 000 pangolins massacrés.
Si le Nigéria apparaît comme l’épicentre du trafic, avec une population d’éléphants estimée à moins d’une centaine d’individus, il ne peut être la source de l’ivoire. Une carte figurant dans le rapport donne des renseignements sur les zones de prélèvement de la matière première, ainsi que les routes et les moyens de transport (bus, camion, bateau hors-bord, canoë, passage de frontière à pied) utilisés par les trafiquants pour converger vers la plaque tournante du trafic mondial qu’est devenu le Nigéria.
L’EIA révèle aussi des informations précieuses sur l’origine de l’ivoire :
« Réalisée par des chercheurs de l’Université de Washington, l’analyse de l’ADN des saisies importantes d’ivoire (>500 kg) entre 1996 et 2014 a confirmé qu’une part importante faisant l’objet d’un trafic mondial provenait d’éléphants d’Afrique occidentale et centrale. Cela confirme que ces populations d’éléphants sont gravement menacées par le braconnage.
L’analyse a révélé que :
– La majorité de l’ivoire d’éléphant de forêt africain intercepté entre 1996 et 2005 provenait de la partie orientale de la République démocratique du Congo ;
– Depuis 2006, jusqu’à 93 % de l’ivoire d’éléphant de forêt saisi dans le monde provenait de la région du Trinational DjaOdzala-Minkébé (TRIDOM) et de la réserve de Dzanga Sangha en République centrafricaine ;
– Une quantité moindre d’ivoire d’éléphant de forêt provenait du Burkina Faso, du Bénin, du Ghana et de Côte d’Ivoire.
Les résultats des analyses ADN des saisies sont également corroborés par les enquêtes de l’EIA, qui ont révélé que l’ivoire faisant l’objet d’un trafic à travers l’Afrique de l’Ouest et du Centre provient en grande partie d’éléphants de forêt, tandis que l’ivoire d’éléphants de savane est généralement exporté à partir de ports d’Afrique de l’Est et du Sud. »
Toujours selon l’EIA, le renforcement de la législation en Tanzanie, Kenya et Ouganda, combinée à la diminution du nombre d’éléphants au Mozambique, grand pays fournisseur d’ivoire, a presque certainement joué un rôle dans le déplacement géographique des réseaux de trafiquants vers l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
À l’opposé, la corruption endémique à tous les étages (police, douane, officiels) et jusqu’au plus haut niveau de l’État, l’incapacité ou l’empêchement (accaparement des terres par exemple) des populations rurales de subvenir à leurs besoins primaires, la faible volonté politique et l’absence de moyens pour faire respecter la loi, les conflits armés, tous ces éléments combinés font de l’Afrique de l’Ouest et Centrale une région compliquée pour la lutte contre le trafic d’animaux sauvages.
Autre information intéressante, les restrictions de déplacement liées à la pandémie ont contribué à diminuer le trafic illégal de faune sauvage :
« Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les confinements imposés aux populations partout dans le monde ont perturbé et interrompu les voyages internationaux et les routes commerciales utilisés par les réseaux de trafiquants d’animaux sauvages pour transporter leurs produits illicites au-delà et à l’intérieur des frontières.
[…]
Les données de l’EIA montrent une baisse significative des saisies d’ivoire et d’écailles de pangolin cette année par rapport aux années précédentes, très probablement en raison des restrictions de déplacement au niveau mondial et de la réduction des vols de passagers. Toutefois, les enquêtes de l’EIA ont également confirmé que le trafic d’ivoire et de pangolin se poursuit malgré la pandémie et si le nombre de saisies a diminué, cela peut être dû à la diminution du personnel disponible chargé de faire respecter la loi pour mener des enquêtes et détecter les envois aux frontières. »
Pour s’adapter aux restrictions, les trafiquants utilisent de plus en plus les plateformes en ligne.
« Le confinement au Nigeria et dans d’autres pays a également a empêché les trafiquants vietnamiens et chinois – les principaux acheteurs d’ivoire et d’écailles de pangolin – d’entrer dans le pays. Avant les confinements, les fournisseurs d’ivoire et d’écailles de pangolin vendaient rarement aux acheteurs sans les rencontrer en face à face, mais les informations de l’EIA ont permis de constater que les trafiquants ont adapté leur modus operandi. Ils utilisent de plus en plus les plateformes en ligne pour contourner les restrictions liées à la pandémie, et cela démontre la flexibilité et la volonté des criminels pour rechercher le profit malgré un risque accru. Compte tenu de cette évolution, il est possible que la clientèle en ligne des trafiquants ait augmenté tout au long de l’année 2020, ce qui fait croître le nombre de ventes potentielles et, par conséquent, maintient la pression sur les animaux sauvages menacés comme les éléphants et les pangolins. »
Quelques informations sur l’état des populations d’éléphants en Afrique de l’Ouest et centrale :
- Le Cameroun a perdu 70 % de ses éléphants de forêt dont la population a chuté de 21 000 en 2010 à 6 400 en 2015 ;
- Le Gabon détient la plus importante population d’éléphants de forêt avec plus de 7 000 individus, un chiffre en baisse d’environ 30 % sur la dernière décennie. Le parc national de Minkébé est un hotspot de braconnage pour l’ivoire et le pangolin, il a perdu plus de 80 % de sa population d’éléphants entre 2004 et 2014 ;
- La République du Congo abriterait environ 6 000 éléphants et la République Démocratique du Congo un peu moins de 2 000 individus.
Rappelons cependant qu’il faut prendre ces chiffres avec précaution, car les éléphants parcourent de longues distances et ne connaissent pas les frontières.
Ce nouveau rapport de l’EIA confirme encore une fois que la complexité et la densité des flux mondiaux de personnes et de marchandises rendent extrêmement difficile la lutte contre la criminalité environnementale au niveau international. La manière la plus pragmatique d’endiguer le phénomène reste encore et toujours d’intervenir au niveau local, d’occuper le terrain pour tuer le trafic à la source. Combiner des patrouilles de rangers formés et équipés de manière adéquate à des programmes favorisant la sécurité alimentaire des communautés locales donne aujourd’hui les meilleurs résultats.