Avec l’essor des villes et la croissance démographique, la consommation de viande de brousse est en train d’exploser en Afrique. Selon l’étude « Towards a sustainable, participatory and inclusive wild meat sector » du CIFOR*, la quantité de viande extraite du bassin du Congo chaque année pourrait dépasser les 10 millions de tonnes, soit une quantité supérieure à la production de viande bovine en Europe.
Beaucoup d’espèces sauvages sont exploitées bien au-delà de leur capacité à se régénérer. L’impact du braconnage est désastreux sur les écosystèmes et si cette tendance se poursuit, les forêts du bassin du Congo seront en quelques décennies vidées de leurs animaux. Au-delà du désastre environnemental, beaucoup de personnes dépendantes de cet apport en protéine pourraient à terme souffrir de la faim si rien n’est entrepris pour stopper cette hécatombe.
*CIFOR : Center for International Forestry Research
La viande de brousse : faits et chiffres
La viande de brousse représente en moyenne entre 60 % et 80 % de l’apport en protéines pour certaines populations du bassin du Congo. Consommée par les communautés rurales, la viande d’animaux sauvages constitue un précieux apport calorique en cas de crise économique ou de mauvaises récoltes.
Bien que la consommation par tête soit plus élevée dans les milieux ruraux qu’en ville, c’est la consommation cumulée des centres urbains et leur développement qui alimentent la demande. La viande de brousse y est considérée comme un mets de choix, les citadins sont donc prêts à payer le prix fort. Ce statut de produit de luxe alimente un trafic lucratif.
La quantité de viande de brousse extraite chaque année du bassin du Congo se situerait entre 1,6 et 11,8 millions de tonnes. Pour donner un élément de comparaison, l’estimation haute est supérieure à la production de viande bovine en 2018 dans l’Union Européenne, celle-ci s’élève à 7,8 millions de tonnes.
Les modèles statistiques d’extraction-production suggèrent que ce taux d’extraction dans le bassin du Congo pourrait être six fois supérieur au taux soutenable pour maintenir les populations d’animaux.
Parmi les vertébrés, les 5 animaux les plus chassés en Afrique Centrale sont par ordre décroissant :
• Philantomba monticola (céphalophe, petite antilope de forêt)
• Cephalophus sp. (Red) (céphalophe, petite antilope de forêt)
• Atherurus africanus (porc-épic)
• Cercopithecus sp. (cercopithèque, un petit primate)
• Manidae sp. (pangolin)
Il est très difficile d’avoir des statistiques économiques sur un secteur informel comme celui de la viande sauvage. Mais selon les quelques études qui existent, ce trafic générerait 400 millions d’USD au niveau mondial chaque année. En Afrique, ce commerce représenterait 200 millions d’USD pour la Côte d’Ivoire et 112 millions d’USD pour le Cameroun.
Dans le monde et sous les tropiques, les populations de mammifères et d’oiseaux présentent des densités entre 58 % et 83 % moindres dans les zones où la chasse pour la viande de brousse est pratiquée. En RDC, la population de gorilles a diminué de 87 % entre 1994 et 2015, principalement en raison de la chasse.
Les taux insoutenables de prélèvement vont provoquer un effondrement de la ressource en viande de brousse d’au moins 61 % en République Centrafricaine et jusqu’à 78 % en RDC d’ici à 2050.
Chasse traditionnelle ou de subsistance VS chasse commerciale
Lorsqu’ils ont pu ou voulu conserver leur mode de vie ancestral, les peuples autochtones du bassin du Congo – par exemple les Pygmées – chassent en utilisant des outils traditionnels (arc, arbalète, sagaie, filet).
A l’origine, cette chasse coutumière avait peu d’impact sur la faune. Les communautés évitaient de chasser durant les périodes de reproduction et se déplaçaient lorsque les proies venaient à manquer, permettant aux populations d’animaux de se renouveler. Beaucoup de Pygmées ont été chassés de leurs forêts et certaines grandes organisations environnementales internationales sont même accusées encore aujourd’hui de participer à la destruction de leur mode de vie. Ces déplacés se sont sédentarisés, ils vivent à l’écart des villes, le long des routes ou en lisière de forêt et braconnent souvent pour payer leur consommation de tabac, d’alcool et de drogues.
Les communautés rurales quant à elles chassent pour la subsistance, autrement dit pour avoir dans leur assiette leur dose quotidienne de protéines. Les chasseurs pratiquant cette chasse consomment eux-mêmes la viande avec leurs familles. C’est une activité indispensable pour la sécurité alimentaire de ces communautés. Dans ces communautés rurales, la chasse se pratique toute l’année avec des variations saisonnières et des méthodes de chasse différentes. Les chasseurs se définissent avant tout comme fermiers ou pêcheurs et chassent pour nourrir leur famille et revendent le surplus. Avec la demande des centres urbains qui augmentent, certains se consacrent entièrement à la chasse commerciale et en tirent des bénéfices importants pour tout le village, parfois en se spécialisant sur des espèces à forte valeur ajoutée comme les primates.
La première cause de surexploitation des ressources provient de la demande des centres urbains. Bien que la consommation urbaine de viande de brousse par tête soit faible et que celle-ci reste un produit de luxe, en cumulant les données, les scientifiques obtiennent une consommation très importante. Et avec la croissance démographique dans la région, cela n’est pas prêt de s’arrêter. La République Démocratique du Congo compte plus de 80 millions d’habitants aujourd’hui dont 12 millions dans la capitale Kinshasa et plus d’une dizaine de grandes villes dépassent le million d’habitants. En 2050, la population pourrait grimper à près de 200 millions de personnes.
Les citadins payent un prix bien plus élevé que les ruraux pour s’offrir de la viande de brousse, ce qui incite les habitants des campagnes à chasser plus pour augmenter leurs revenus.
Certains opportunistes ont repéré le filon pour s’enrichir rapidement et s’organisent en réseaux. Ces braconniers commerciaux n’appartiennent en général pas aux communautés rurales et opèrent au niveau régional, voire même au niveau international. Ainsi, entre 40 et 120 tonnes de viande de brousse seraient acheminées chaque année par l’aéroport de Zaventem en Belgique. La France quant à elle n’est pas épargnée et ce sont 270 tonnes de viande de brousse qui transiteraient chaque année par l’aéroport de Roissy.
Lien entre viande de brouse et maladies infectieuses
Chasser, découper et consommer de la viande de brousse présente des risques sanitaires. Les animaux sauvages sont connus pour être des réservoirs à virus extrêmement contagieux. Parmi les maladies infectieuses émergentes, 60 % sont des zoonoses, et 72 % d’entre elles ont pour origine la faune sauvage.
La chasse, la découpe et la consommation de viande de brousse, particulièrement la viande de singe, augmente le risque de transmission de nouvelles maladies infectieuses à l’homme. Parmi les cas connus, il y a par exemple Ebola, la variole du singe, le VIS (Virus de l’Immunodéficience Simienne), le SRAS, etc.
Malgré ces risques, la viande de brousse est souvent perçue comme plus saine et meilleure pour la santé que les alternatives issues de l’élevage d’animaux domestiques.
Des conditions favorables à l’explosion du trafic de viande de brousse
En Afrique centrale, le piégeage par câble nylon ou acier est le moyen le plus répandu pour chasser les animaux sauvages. L’usage de câble est en général interdit, car ce type de piège peut capturer, tuer ou blesser une grande variété d’animaux – mammifères, oiseaux et reptiles – allant du petit rongeur à l’éléphant. Les fusils de chasse sont aussi largement utilisés, principalement pour les animaux terrestres de taille imposante.
Le développement des transports et de l’accès aux marchés régionaux est lié à l’expansion de l’agriculture et de l’industrie extractive (exploitation minière et forestière). Cela attire des travailleurs et leurs familles dans des zones autrefois épargnées par les activités humaines.
Arte diffusait un excellent documentaire à ce sujet vantant une exploitation « durable » de la forêt par le groupe Danzer avec la bénédiction du WWF. Problème, l’implantation du groupe en bordure de forêt primaire permet à une ville de se développer et la demande de viande de brousse explose. Les routes tracées dans la forêt pour aller chercher les grumes sont autant d’autoroutes pour les braconniers…Le même scénario se répète partout en Afrique centrale.
Impact sur l’écosystème et la biodiversité
Cette pression exercée par la chasse commerciale sur les écosystèmes pourrait créer des « forêts vides ». Une menace pour la sécurité alimentaire des peuples autochtones et des communautés rurales dépendantes des ressources de la forêt pour leur apport quotidien en protéines.
Cette surexploitation de la faune sauvage aura à terme un énorme impact sur la dynamique des écosystèmes dans les savanes et les forêts (capacité à se régénérer, formation du sol et la séquestration du carbone).
Les chasseurs ciblent généralement en premier lieu les espèces de taille imposante (grands herbivores, apex prédateurs) considérées comme des espèces « clé de voûte », des « ingénieurs des écosystèmes ». Autre détail important souligné dans l’étude du CIFOR, la fonction écologique d’une espèce peut disparaître même si une petite population subsiste dans une forêt « à moitié vidée ».
Parmi les espèces les plus ciblées, les mammifères frugivores arrivent généralement dans les premières positions. En raison de leur rôle important dans la dispersion des graines, leur disparition peut diminuer la capacité de la forêt à se régénérer. C’est particulièrement vrai pour l’éléphant de forêt et les grand primates qui consomment, déplacent et excrètent de larges quantités de nutriments. D’imposantes espèces d’arbres en sont dépendantes et pourraient être remplacées par de plus petites espèces fabriquant moins de bois, réduisant d’autant plus la capacité de la forêt tropicale à stocker du carbone.
La chasse – même peu intense – peut avoir un impact dévastateur sur les populations de carnivores en raison de leur faible densité sur un territoire. La disparition des « apex prédateurs » peut entraîner des cascades tropiques, avec la multiplication des herbivores qui exercent alors une pression démesurée sur la végétation pouvant affecter profondément l’écosystème (voir le cas de Yellowstone). Ils sont aussi affectés de manière indirecte par la disparition des proies.