J’évoquais dans un précédent article les liaisons entre braconnage et terrorisme (cf l’Or blanc du Jihad). La preuve est une fois de plus faite que les réseaux terroristes ont délibérément fait le choix du trafic des espèces sauvages pour financer leurs exactions.
Joseph Kony, le redoutable seigneur de guerre ougandais, responsable de l’enlèvement de dizaine milliers d’enfants, et du massacre d’autant de civils, a trouvé dans le braconnage de l’ivoire une bouée de sauvetage pour se sortir de sa situation actuelle.
Après avoir mené la guerre pendant trois décennies contre son gouvernement qu’il jugeait illégitime, et être mis en examen pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, Kony a été forcé de quitter son pays d’origine, l’Ouganda, pour s’exiler chez ses amis, dans une zone reculée du Sud-Soudan appelée Kafia Kingi.
Grâce au témoignage d’un ancien lieutenant aujourd’hui repenti, on en sait beaucoup plus sur le mode de financement de son organisation terroriste, la LRA (Lord Resistance Army) en rébellion contre le gouvernement ougandais pour mettre en place un régime basé sur les 10 commandements de la Bible.
Le transfuge a expliqué de manière très détaillée comment Kony obtenait des armes et des munitions en échange des défenses d’ivoire que ses troupes avaient récupérées. Son lieutenant a passé plus de 27 années à son service en tant que membre de l’unité de braconnage d’ivoire. Il a écumé avec son équipe le parc de Garamba, situé à l’extrême nord-est de la RDC, pour chasser les éléphants. Ils ont également tués des rangers qui protégeaient les pachydermes, dont le nombre a chuté de 20 000 dans les années 60 à moins de 2 000 à l’heure actuelle.
Image d’un des enfants soldats utilisé par le chef de guerre pour perpétrer ses nombreux crimes, en particulier le braconnage des éléphants du Congo.
L’équipe de braconniers, composée d’enfants et de responsables plus âgés, était en immersion totale dans le parc de Garamba. Les trafiquants vivaient en se nourrissant de viande de brousse et surtout d’éléphants. Pour la LRA, ce commerce était à la fois facile et rémunérateur. Les défenses étaient acheminées rapidement au Soudan voisin, et ils troquaient leur stock d’ivoire contre des uniformes, des armes, des chargeurs et des munitions en grande quantité. Les Soudanais vendaient tout l’ivoire à des intermédiaires et l’expédiaient sur le marché chinois et les pays du Golfe, leurs gains leur permettant entre autres de s’approvisionner en armement pour équiper les Djanjawids soudanais, terroristes islamistes, et les membres de la LRA de Joseph Kony, terroristes chrétiens.
Le trafic d’armes, d’argent sale et d’ivoire n’a ni frontière, ni religion !
Interrogé pour savoir combien d’éléphants son unité a massacré, l’ancien braconnier a expliqué qu’ils en abattaient en moyenne un par semaine, mais que plus ça allait, plus ils éprouvaient des difficultés car les éléphants se méfiaient.
Pour information, selon une source d’une ONG internationale présente en RDC, près de cent éléphants ont été braconnés dans le parc de Garamba en 2015, mais selon moi, ce serait une erreur de tous les attribuer à la LRA, les Djanjawids soudanais ayant également leur part de responsabilité.
Carte qui reprend l’itinéraire de l’ivoire depuis le parc de Garamba jusqu’au QG de Kony.
Le cheminement de l’ivoire est ensuite le suivant : de Garamba, les défenses traversent le nord de la RDC pour remonter par l’est de la Centrafrique et continuer leur périple jusqu’au fief de Kony, à Kafia Kingi, au nord-ouest du Sud-Soudan.
La scission du Soudan a quelque peu perturbé les affaires de Kony. C’est la raison pour laquelle les déplacements de l’ivoire se font plutôt par la Centrafrique qu’en traversant le Sud-Soudan. Son quartier général est situé dans une zone peu peuplée, relativement à l’écart de tout, d’où il peut s’extraire rapidement en rejoignant le Soudan ou en se cachant en Centrafrique. Kony a été l’allié pendant de nombreuses années du président soudanais Omar al Bashir. Pendant des décennies, le régime de Khartoum a armé la LRA et l’a aidé dans sa campagne de déstabilisation dans le nord de l’Ouganda, soi-disant en représailles pour le soutien du gouvernement ougandais en faveur des rebelles séparatistes du Darfour.
Bien que le président Bashir se défende aujourd’hui d’être toujours l’allié de Kony, de nombreuses preuves montrent que les troupes du seigneur de guerre sont toujours protégées par les militaires soudanais, qui les aident dans l’expédition de leur ivoire vers l’Asie et les pays du Golfe.
Le braconnage des éléphants est maintenant un «bouée de sauvetage » indispensable à la survie de l’armée de Joseph Kony. Il a une telle importance aux yeux du chef qu’il a même placé ses deux fils à la tête du trafic.
De nombreux combattants ont quitté les rangs de la LRA, et Kony a besoin de troupes fraîches mais également d’armement de pointe. Il s’est réfugié en RDC et au Sud-Soudan car il ne peut plus revenir en Ouganda son pays d’origine. L’ivoire est donc sa seule option pour s’approvisionner facilement et rapidement. La présence de troupes américaines en renfort en Ouganda a contribué largement à son exil dans les pays voisins.
Mais les troubles qui ont secoué la Centrafrique, la situation en RDC et ses amitiés au Soudan font qu’il a encore une marge de manœuvre suffisante pour massacrer en nombre les éléphants du parc de la Garamba, mais également ceux qui subsistent dans les quelques réserves de Centrafrique.
Je traiterai dans un prochain article de la situation dans la Garamba du point de vue des forces anti-braconnage.