La faune sauvage étant de nos jours souvent cantonnée aux aires protégées et aux territoires des peuples autochtones, les populations villageoises parmi lesquelles sont recrutés la majorité des éco-gardes ont souvent eu assez peu de contacts avec les animaux. Et dans bien des cas, ces contacts laissent un goût amer : bétail tué par des lions, cultures détruites par des éléphants, etc. Hommes et animaux sauvages ne partagent plus un seul et même territoire, à la différence de certains peuples chasseurs cueilleurs comme les Bushmen et les Hadza en Afrique australe (ou plutôt ce qu’il en reste). Pour protéger efficacement les animaux de la brousse, il est avant tout nécessaire d’apprendre à bien les connaître. C’est pourquoi nos formations contiennent toujours des cours théoriques et pratiques sur la faune sauvage.
Patrouiller sur le territoire d’animaux potentiellement dangereux implique d’en savoir un minimum sur chaque espèce et sur leurs habitudes, pour mieux anticiper leur comportement et préserver sa propre sécurité, comme celle des animaux. Quand les animaux se cachent dans la végétation, les empreintes au sol sont précieuses pour les repérer. Si un éco-garde effraye malencontreusement un éléphant, celui-ci peut se sentir menacé et attaquer. Le ranger se défendra en tirant. C’est le genre de situation que nous voulons éviter.
L’art du pistage fait partie du bagage du ranger et comporte plusieurs aspects :
- Pistage des humains ;
- Pistage des animaux ;
- Contre-pistage (exemple : effacer les traces derrière soi lors d’un bivouac).
Quelle est l’utilité du « tracking » ou pistage ?
Reconnaître les empreintes au sol d’animaux et d’humains sert entre autres à identifier un braconnier prenant en chasse un animal, ce qui rend possible une intervention avant que l’acte de braconnage ne soit commis, mais ce n’est pas tout, le pistage possède également d’autres avantages :
- Comptage des animaux ;
- Repérage d’animaux blessés ;
- Certains bons pisteurs sont capables d’interpréter les empreintes et d’anticiper les déplacements des animaux.
A la différence de l’Afrique australe et de l’Afrique de l’Est, les animaux des réserves d’Afrique de l’Ouest sont moins souvent équipés de colliers émetteurs permettant de les repérer à distance grâce à un signal radio. Le pistage permet d’effectuer un suivi à distance et non intrusif des animaux, il n’y a pas besoin de les capturer et/ou de les endormir pour les équiper d’une balise.
Technologie : quelle efficacité ?
Il y a quelque chose de dérangeant à voir évoluer dans la brousse de magnifiques animaux comme les éléphants et les lions flanqués d’immondes colliers émetteurs. On nous dit que c’est pour leur bien, mais c’est surtout pour satisfaire la soif de connaissances et l’orgueil de la toute puissante Science occidentale. Le point de vue l’animal, tout le monde s’en moque. Pourtant, équiper un rhinocéros ou un éléphant d’un émetteur représente toujours une source de stress et peut potentiellement être risqué pour l’animal. Il faut le poursuivre en 4×4 ou en hélicoptère, l’isoler puis l’endormir à l’aide d’un fusil tranquillisant. Une erreur dans le dosage peut être fatale. De manière générale, nous sommes plutôt sceptiques sur l’enthousiasme du monde de la conservation vis-à-vis de la technologie, d’autant plus que le rapport Le dangereux déclin de la nature publié par l’IPBES en 2019 place l’innovation technologique parmi les facteurs indirects d’extinction de la biodiversité. Le développement du commerce en ligne, des réseaux sociaux et des messageries instantanées a par exemple largement contribué à faire exploser le trafic d’animaux sauvages dans le monde, deuxième cause d’extinction. L’UNODC (Office des Nations Unies contre les drogues et le crime) évoque notamment les plateformes Facebook et Youtube dans son dernier rapport.
Dernier projet technoscientifique délirant cité il y a peu dans le New York Times, le projet ICARUS – un « Internet des Animaux » (référence à l’« Internet des Objets » composé des smartphones, enceintes portables et autres objets connectés à l’Internet) afin de suivre les déplacements du vivant sur un écran. La miniaturisation des capteurs permettrait d’équiper toujours plus d’êtres vivants, des espèces les plus imposantes aux plus petites (oiseaux, insectes). Difficile de percevoir l’utilité d’un tel projet gourmand en ressources énergétiques et matérielles alors que de nombreux rapports scientifiques – dont l’IPBES – ont déjà identifié depuis belle lurette les causes de l’extinction de masse en cours.
Préserver et enseigner les techniques traditionnelles telles que le pistage, comme nous le faisons à Wildlife Angel, répond donc à plusieurs problématiques :
- Amélioration de l’efficacité du travail des rangers ;
- Valorisation de la culture locale (diversité culturelle et biologique sont intimement liées) ;
- Souci du bien-être de l’animal ;
- Limitation de l’impact environnemental et du coût de la protection d’un territoire en se passant de technologies hors de prix gourmandes en ressources énergétiques et matérielles.