Alors que de nombreux gouvernements africains essaient de tout mettre en œuvre pour ralentir le trafic de cornes de rhinocéros, alors que des ONG internationales sensibilisent les pays asiatiques afin qu’ils se détournent de l’utilisation médicinale de ces cornes, un débat émerge dans les pays d’Afrique australe :
Afin de tirer les prix du marché vers le bas, pourquoi ne pas légaliser le commerce de cornes de rhinocéros ?
Lors d’une récente conférence, un des responsables des parcs nationaux du Swaziland, Ted Reilly, a dénoncé ce qu’il appelle le lobby des anti-commerce, c’est-à-dire ceux qui sont contre la légalisation de ce commerce en les accusant de participer indirectement à l’extinction de la race. Voici un extrait de sa position sur le sujet.
« La voix des gardiens [ndlr : ceux qui élèvent ou soignent des rhinos] qui sont pour le commerce des cornes n’est jamais entendue et n’atteindra jamais l’audience souhaitée, et pourtant 93% des rhinocéros africains sont détenus et gérés par ces mêmes gardiens.
Le lobby des pro-commerce, et la majorité des propriétaires et gardiens ont été trop passifs et discrets dans leurs réponses, face aux réactions agressives voire diffamatoires de ceux qui n’ont pas de rhinos, n’en ont jamais géré et sont très loin des réalités des crimes commis par les braconniers ! »
La plupart des associations qui s’élèvent contre le commerce des cornes de rhinocéros dénoncent le côté purement mercantile de la gestion des rhinocéros. La question que l’on peut légitimement se poser est de savoir si ceux qui possèdent des rhinocéros le font dans une logique de conservation de la faune sauvage, pour protéger une espèce en voie de disparition, ou parce qu’il pense que cela pourrait être un bon investissement si on libéralisait la vente de cornes, qui, rappelons-le, est interdite depuis près de 38 ans. Wildlife Angel a déjà réalisé des opérations pour des réserves privées gérants des rhinocéros. On ne peut vraiment pas se prononcer sur la question. Si l’intention est louable, on ne sait pas dire avec précision si derrière leurs motivations de conservation ne se cachent pas des intérêts financiers moins avouables …
Mais attention, les détenteurs privés de rhinocéros ne sont pas seuls concernés par cette interdiction. En Namibie, les privés peuvent détenir des rhinocéros, mais uniquement des blancs. Les rhinocéros noirs, faisant partie du patrimoine du pays, appartiennent exclusivement à l’état, même si certains sont gérés dans des réserves privées. Quand il y a des opérations d’écornage sur des rhinos noirs, c’est le gouvernement namibien qui stocke alors les cornes dans un hangar protégé, en attendant la libéralisation espérée du commerce.
L’argument est double :
Si on légalise le commerce, les prix du marché vont chuter et les clients ne seront plus tentés par le marché noir, et l’argent que l’état ou les privés récupéreront de la vente profitera à l’espèce en injectant une partie des fonds à leur protection et à l’anti-braconnage.
Mais s’il estime que les pro-commerce ont été trop longtemps timorés, Ted Reilly va beaucoup plus loin en attaquant directement les constituants du lobby anti-commerce.
« Des millions de dollars en provenance des donateurs internationaux se sont évaporés. Les opérations de protection des rhinos n’ont jamais vu cet argent qui a profité à des organisations d’escrocs, qui ont besoin de cette manne pour exister.
L’interdiction du commerce ne va pas dans le sens de la protection des rhinocéros. Elle favorise des profiteurs et des organisations sans scrupule qui ne possèdent aucun rhino, ne font et n’ont jamais rien fait pour eux, qui s’érigent en tant qu’experts en imposant au monde leur idéologie sans n’avoir jamais vécu avec des rhinos et pire sans les connaître.
La sagesse consisterait simplement à écouter la voix de la majorité des gardiens. »
Il faut toujours faire attention aux amalgames lorsque l’on attaque tel ou tel groupe d’individus. Ce que dit Ted au sujet de certaines ONG internationales n’est pas dénué de fondement. Mais il ne doit pas oublier celles qui sont sur le terrain, qui ne vivent pas des fonds récoltés et qui s’investissent pleinement aux côtés de ces fameux gardiens. Mais il est incontestable que les grands programmes de protection dont j’ai entendu parler manquent souvent de visibilité sur le terrain … Organiser des marches, faire signer des pétitions, tout cela ne sert à rien si l’on ne combat pas la menace directement sur le terrain.
Par le passé, l’action s’est déroulée en 1952, un conservationniste sud-africain du nom de Ian Player a joué un rôle considérable en matière de protection des rhinocéros blancs. Alors que leur nombre avait chuté dramatiquement, moins de 400 dans l’ensemble de l’Afrique du sud, Ian lança son action d’envergure « Operation Rhino » qui s’appuyait sur la capture et le déplacement de rhinos dans les parcs du monde entier, en finançant en partie son action avec la vente de cornes.
Pour conclure, je dirais qu’il faut certainement écouter la voix des gardiens de rhinocéros, comme le suggère Ted Reilly, mais il faudrait également tenir compte des avis des spécialistes en biologie et éthologie animale afin de savoir si les opérations d’écornage ne sont pas nuisibles à l’animal. C’est une enquête que nous allons poursuivre.